Dévouée à la cause - Aria St. Lusher.

- Alors comme ça, on dit que t’es un déviant ?
- Ouais, il parait. J’aime pas trop…
- Ce mot.
- Ouais.

On s’asseyait souvent comme ça sur les bancs, dans les parcs, dans les rues. A vrai dire, à force de traîner partout avec lui, j’arrivais à oublier comment ça avait commencé. Il avait beau être un peu plus âgé que moi, je me souviens juste avoir engagé la discussion avec lui, et n’avoir remarqué sa diode que des jours plus tard. Je sais, c’est absurde, mais je n’ai jamais été très attentive aux détails. Je faisais surtout tout mon possible pour sortir de chez moi. J’avais l’ambition de voyager, et après de longues discussions avec cet androïde, j’ai découvert que lui aussi. Ce qui m’a frappé, en premier, c’est qu’après avoir su qu’il n’était pas humain, je remarquais sans cesse son sourire. Avant, je m’en fichais. Je me fichais de voir les gens sourire, et pire encore, je méprisais les gens heureux, surement parce que depuis toute petite, j’étais ballottée de droite à gauche de dîners en dîners, et mes nourices étaient diverses et variées. Quand les gens disaient qu’ils  allaient en parc à thème avec leurs parents, j’avais l’audace de demander si les parents pouvaient se prêter. Il faut croire que ma mère voulait absolument un enfant, mais n’avait jamais assumé d’en prendre soin, préférant la foi à la fille qu’elle avait mise au monde.  J’ai beau ne jamais m’être intéressé à la religion, j’étais pourtant sure d’avoir lu quelque chose sur l’amour.

A force de parler voyages, et de surtout préciser que je ne voulais pas des voyages d’affaires qui prenaient à mon père tout son temps, Ethan – j’avais fini par apprendre le nom de cet androïde – m’écoutant sans relâche, me bouscule gentiment de l’épaule, avec le sourire qui faisait monter le sang dans mon visage :

- On ira dans tous les pays !
- Et le monde sera à nous !

Regardez-moi, pleine d’espoir, pleine d’un amour naissant. Regardez-moi, fuyant chaque matin la maison alors que ma mère continuait de payer de professeurs pour tenter de m’inculquer une maigre éducation. J’avais envie de fuir avec Ethan, comme toute ado le voudrait. J’avais beau avoir de l’argent de coté, je ne voulais pas faire de vagues, ou de lancer du monde à ma poursuite pour rien. Mes parents aurait été fous à l’idée que leur progéniture – dont ils n’avaient rien à faire – ne s’en aille subitement. Et puisque les événements de la révolution de Détroit étaient récents, je ne voulais pas embarrasser Ethan. Arès tout, il avait très surement besoin de temps pour s’adapter à sa propre nouvelle vie, en tant que citoyen reconnu, ayant des droits.

Mes parents possédaient des androïdes, avant qu'on les considères comment de vraies personnes. Dans notre gigantesque demeure, ils avaient servis d’esclaves ménagers. Et mes géniteurs avaient beau ne pas avoir recours à la violence, je les entendais encore se plaindre à l’idée de donner des droits à leurs androïdes parce qu’ils auraient adorés garder les leurs captifs, et les soumettre à leur ordre encore aujourd’hui. S’ils avaient pu s’opposer à la DUDA, ils l’auraient fait. Payer des gens pour être à leur service les agaçait et encore et  j’entendais parfois ma mère parler d’en récupérer un dans un marché. A ce moment, je ne me voyais pas lui parler d’Ethan.

Je continuais à le voir pourtant, sans lui parler ni de ma famille, ni de leur haine viscérale des androïdes, esquivant quotidiennement les professeurs qui me servaient de garderie, alors que j’avoisinais les 20 ans. Ethan découvrait l’amour qu’il n’avait jamais eu le droit d’exprimer, et moi, les androïdes, que je n’avais jamais eu le droit de fréquenter. Nous n’étions pas si spéciaux, et nous nous faisions discrets, traînant dans des ruelles, ou des coins un peu abandonnés. Je n’étais pas fan de sorties spectaculaires, mais parfois, il nous arrivait d’aller au cinéma. Il calmait mes colères, il apaisait ma rage, écoutait mes plaintes, et moi, je lui montrais des photos du bout du monde, là ou je n’avais jamais été, et lui rapportais un tas de gadget qui lui donnaient envie et qu’il connaissait à peine. Pour tout avouer, j’apprenais bien plus de lui que l’inverse, mais toujours avait-il été calme et bienveillant. Plus bienveillant que n’importe qui jusque là. Il me donnait envie de devenir sociable, et arrivait à me faire rire.

- … et donc après ça, j’ai pas pu m’empêcher de lui mettre mon poing dans les dents.
- A 7 ans ? questionnait-il, feignant toujours d’être étonné par mes histoires.
- Mais il m’a poussée dans les orties ! J’étais obligée ! Rétorquai-je immédiatement en riant.
- Donc si je te ramène des orties tu risques de m’attaquer ?
- Euh… Si tu me cherche bien, peut être !

Le soir tombait toujours trop vite dans les petites rues qu’on parcourait tous les jours. Chaque jour je rentrais plus tard. A force, j’en venais à louper le dîner. Pire encore, ce soir là, j’avais oublié que mon père rentrait d’Allemagne un soir. Quelle ne fut-pas ma surprise quand au lieu de tracer vers ma chambre en entendant les soupirs lointains de ma mère comme à son habitude, je fut stoppée net, par la grand silhouette forte de mon paternel.

- Il est tard. Ou étais tu ?
- Je… dehors. Lâche-moi.
- Avec qui  passes-tu tes journées ? Ta mère me dit que tu ne suis pas tes cours.
- Mais j’ai 20 ans !
- 20 ans ou pas, tu restes une St. Lusher. Si tu avais suivi des études plus sérieuses, tu serais surement à l’université, mais voilà que tu continues à cracher sur la soupe.
- Mais je-
- CA SUFFIT DE ME REPONDRE !

Un silence tomba. Voila qu’on me traitait encore comme une enfant. J’en avais assez.

- Et que vas-tu faire ? Hein ? Le défiais-je. Tu vas lancer un détective pour me courir après dans la rue ?
- Arrête ça tout de suite Aria, je ne supporte pas que tu me parle sur ce ton.
- Ben vas y, fais le, évidemment que je me drogue ! J’me drogue et je me prostitue surement pendant qu’on y est !

Ma mère s’était approchée. Elle m’attrapa le bras, en signe de silence. Elle ne me touchait jamais. Son geste était froid, dénué d’amour. La main d’Ethan était des centaines de fois plus chaudes que la sienne, quand elle se posait sur mon bras.

- Ne me touche pas. Vous me haïssez. Je le sais, vous ne désiriez pas d’enfant, j’ai compris. Maintenant j’ai 20 piges, alors lâchez moi. Je ne serais jamais l’héritière de cette famille de m*rde, et je passerai ma vie à cracher sur chacun de ses membres. Même mes grands parents, je ne les vois pas. Evidemment que je passe mon temps avec d’autres gens, puisque vous ne pensez pas une seconde à en passer avec moi !

Nouveau silence. Je n’en pouvais plus et les larmes m’étaient montées aux yeux, de rage.

- Arrêtez de me laisser dans le silence ! Arrêtez de ne pas savoir quoi répondre ! Prenez vos p*tain de responsabilités pour une fois !
- Aria… voulu répondre mon père avec un ton austère.
- Madame Berkwood, la voisine, t’as vue avec un androïde, Aria, le coupa ma mère.
- Hein ?
- Que faisais-tu avec une machine ?

Voilà qu’ils abordaient le sujet de trop. Mon père aurait pu avoir la décence de m’espionner, plutôt que de demander aux voisins de commérer à mon sujet. Cette maison était toxique, elle bouffait l’air de tout ce qui l’entoure. Le teint pâle de ma mère n’était pas que le manque de soleil, mais la pourriture du manque de vie de cette maison. Mon père, cette masse difforme et bedonnante, n’avait surement jamais rendu heureux ma mère et lui avait fait un gosse en espérant avoir un garçon qui reprendrait son business. J’en étais sure, et cette pensée que je n’avais jamais osé fleurir en moi, explosait littéralement comme une bombe.

Sans répondre, je décidais de faire demi-tour. Il faisait nuit noire, mais je ne pouvais pas rester passer la nuit ici. En actionnant la poignée de porte, je compris qu’elle était fermée, à clef. J’étais... prisonnière de ma propre maison. La voix de mon père s’éleva.

- Tu as interdiction de sortir. Nous ne pouvons pas accepter de te laisser te lier d’amitié où que sais-je, avec un androïde. Ils ne sont pas humains, Aria. Il est temps qu’on reprenne ton éducation.
- Vous plaisantez j’espère ?
- J’ai appelé un précepteur. Il t’enseignera les principes de la religion et t’accompagnera à l’église, surenchérit ma génitrice.
- Et tu nous donneras ton téléphone portable, aussi.

J’en avais assez entendu. Lâchant un grognement, et deux larmes coulant sur mes joues, je passais en bousculant mes deux parents, pour monter dans ma chambre. Alors c’était donc ça, ma vie ? Incapable de voir Ethan, parce que je devais être une bonne pratiquante et rejeter la technologie ? J’avais l’impression d’être au moyen-âge…

Déjà problématique, ma relation avec ma famille ne s’améliora pas. Violente, j’en venais presque aux mains avec mon père quand il était là, et devenait sourde à petit feu sous les cris de ma mère. Evidemment, je refusais d’aller à l’église, de prier, et n’étudiais pas. Le reste du temps, je me terrais dans ma chambre, ma chambre ou toute technologie, portable, ordinateur, même la télévision, m’avait été enlevée.

Plusieurs jours s’écoulèrent, et je n’avais aucune idée de ce qui se passait à Détroit. Un soir, agacée, et en prise à une nouvelle crise de rage, je me résolus à fuir. Et je comptais le faire de nuit, parce que je ne souhaitais pas rentrer avant plusieurs jours. Zip, j’ouvrais mon portefeuille. J’avais un peu de sous, mais pas assez pour tenir la semaine au moins à l’hôtel.  Ouvrant la porte de ma chambre le plus doucement possible, je décidais déjà d’aller piller le bureau de mon père. Les riches aiment par-dessus tout garder du cash près d’eux. Peut être aiment-ils sentir les billets, l’argent à bel et bien une odeur.  Ni une ni deux, une fois le cash en poche et un sac a dos de randonné blindé de fringue, j’enfilais gants et manteau, avant de fuir de la maison.  

L’automne était déjà glacial. Le vent fouettais mon visage et, pensais-je, mieux valait ne pas être SDF. Arrivant à l’arrêt de bus – je prévoyais de m’éloigner beaucoup – j’en croisais déjà un. Pauvre homme. Rarement mon cœur ne se remplissait d’empathie pour les gens, et je n’avais pas de quoi lui filer du fric, puisque j’en avais besoin, mais en soupirant, lui filait mes deux barres de céréales précédemment récoltées dans la cuisine. J’avais beau être blindée de fric, je savais qu’il avait de la valeur, et que ceux qui n’avaient rien devait envier mon quartier, rempli de sublimes villas. Sans un mot, il me remercia faiblement d’un signe de tête et, alors que le bus arrivait, prise d’une pitié que je ne me connaissais pas, je lui jetais mes gants sans attendre de réponse, et grimpais dans le bus.

Assise sur les banquettes du fond, le chauffeur semblait peu rassuré. Ça faisait longtemps que je n’avais pas pris le bus, mais j’avoue que cela ne semblait pas des plus normal. Il murmurait des trucs comme « bordel, quel boulot de chien, conduire avec ces gens dehors… ils devraient nous faire arrêter de bosser, pourquoi les bus doivent circuler… » Mais à mes yeux, il avait seulement dû se faire agresser.  Le trajet fut sec, brutal, mais j’ai l’occasion de me réchauffer, avant d’être de nouveau jetée au terminus dehors en plein Camden.  Juste devant le Eastern Motel.
Sans hésiter je m’y avançais alors et voulant tirer la porte…. je la découvrais fermée.  Il y avait le gardien à l’intérieur, qui vint m’ouvrir et me fît signe qu’il fallait sonner pour entrer maintenant parce qu’on est « jamais trop prudent ». A vrai dire, je n’y pigeais rien. Pourquoi tant de sécurité ?

La TV était disponible au motel, enfin un peu de confort. Le journal aussi d’ailleurs. Profitant d’un écran depuis la première fois depuis longtemps, je trouvais les informations televisée louches, et me mit à zapper sur toutes les chaines.

- En ce 24 novembre, nous enquêtons toujours sur…
- Les massacres survenus lors du 21 Novembre sur des centaines…
- Les humains et androïdes tués furent exposés en pleine rue…
- Nos rendons hommage en ce jour, aux victimes du 21 Nov…
- On supposerait que les agresseurs fassent partie d’une organisation, mais la police n’a pas souhaité se prononcer sur le sujet…

J’éteignis immédiatement la télévision et attrapais le journal. Même scénario dans les nouvelles  sur papier. Comment avais-je pu rater tout ça ? Comment avais-je pu passer tout ces jours sans être au courant que la ville entière avait été sujette à une attaque… terroriste ? Le souffle me manquait, j’en suffoquais presque d’avoir été si écartée de toutes nouvelles, de tout contact avec l’extérieur.
Et mon extérieur, c’était Ethan ! Courant dans les escaliers du motel pour retourner voir le gardien, je tambourinais et sonnait à la porte, et a peine avait il ouvert que je criais :

- J’ai besoin d’un téléphone !
- Nous ne disposons d’un téléphone public que durant la journée sinon vous avez un cabine teleph…
- Votre téléphone, je m’en fous !
- Mademoiselle qu’est-ce qui vous arrive ?

Bien au courant que j’avais une attitude terriblement suspecte, je laissais tomber avant que ça ne soit lui qui n’appelle la police pour m’embarquer pour agression. C’était bien une des premières fois que j’étais consciente qu’il faillait que je me calme pour obtenir ce que je voulais. Mais mon cœur bâtait à 100 à l’heure et je ne pouvais rien faire…

Grognant, serrant des poings, sans même répondre – comme à mon habitude – au gardien, je remontais dans ma chambre, fermais à double tour, et rallumait la télévision. Si ils diffusaient d’horrible depuis les informations, comme les médias aiment à le faire, peut être saurais-je ce qu’il s’est passés. Kidnapping, torture, images graphique, du sang bleu, autant que rouge répandus sur le pavé qui n’avait pas encore été nettoyés, seulement sablé pour l’absorber… j’avais peur de voir Ethan étalé au sol à chaque changement de plan.
Je ne vis rien.

J’avais surement du finir par tomber de sommeil sur le lit, puisque c’est le soleil qui perçait par les volets ouverts qui me réveilla. La télévision était sur un programme plus calme, surement pour apaiser les tensions. Je n’étais pas du tout calme. Il fallait que je sache. Je savais déjà que je serais loin de chez moi pour plus d’une semaine. Toute ma vie s’il fallait. Mais je devais joindre Ethan.

Dégringolant les marches, je refis une scène au gardien, après avoir payé ma chambre, pur accéder au téléphone, même s’il était tôt. J’y parvins et composais un numéro… pas le bon. Un second. Toujours pas bon. Avec mon téléphone portable qui l’avait enregistré, impossible de me souvenir de son numéro correctement. C’était une torture que de me dire qu’Ethan était quelque part, peut être mort et que je n’étais pas foutue de me souvenir de son numéro ! Après des dizaines d’essais… je tombais sur un numéro non attribué. C’était peut être le sien. Et cela signa la fin de ma recherche. Désespérée, je regardais les voitures défiler devant la fenêtre. Il fallait que je le trouve.

Je sortis doucement, éblouie par le lever de soleil un bref instant, mon sac sur le dos.
Il fallait que je le trouve.