“Rough it up a little. After all, it’s not human”

Gavin n’a certainement pas eu de chance dans sa vie. Il fait parti de ces gamins dont le père discipline la femme et les gosses avec les poings et les injures. Ceux sur qui on ferme les yeux car ils viennent d’un quartier qui craint, ne s’intègrent pas avec les autres enfants de leur âge. « Ne t-en-fais pas Gavin, dès que j’ai assez d’argent on partira tous les deux », a dit maman en guise de conte du soir, replaçant d’un doigt délicat une mèche de cheveux sale.

Mensonges. Il n’y a jamais cru, à vrai dire. Il a perdu la joie de vivre tôt, et avec elle tout espoir, Gavin ; à dix ans il voit juste le monde comme un endroit dégueulasse et injuste, où l’on montre ses dents comme un chien enragé, toujours prêt à mordre. La vérité c’est que maman Reed a perdu son boulot avant même d’atteindre le budget dont elle avait besoin pour partir et recommencer une vie. Elle a eu beau supplier, les androïdes ont pris sa place, on n’a plus besoin d’elle à l’usine ; « t’es bonne à rien à la maison, t’es bonne à rien à ton travail, tu ferais mieux de crever », a dit le géniteur. « Cet argent, il est pour toi Gavin, quand tu auras l’âge tu iras faire tes études, part loin d’ici sans moi. Je l’ai enterré dans le jardin. », a dit maman.

Alors Gavin sert les dents, subit silencieusement, et se promet de ne pas devenir comme lui.

C’est à dix-huit ans qu’il part de chez lui, un soir, quand son géniteur est endormi dans le canapé, et maman travaille sous les néons rouges d’une ruelle sordide. Il n’a rien qu’un sac à dos dans lequel il a fourré un t-shirt, un jean, ses papiers, l’argent. Gavin court hors de la maison, s’élance dans la rue, prend le bus jusqu’à l’autre bout de Détroit où il loue une chambre d’hôtel miteuse.

Personne ne le cherche. Il n’a plus de nouvelles de sa famille.
Gavin a pleuré tous les soirs, pendant plusieurs jours. Il ne sait pas pourquoi.

L’école de police n’est pas difficile. Il est plus intelligent qu’il ne pense, doué en sport. Pourtant, son mal-être grandit, son tempérament change, au fil des années il devient difficile, trop sûr de lui, égocentrique. Il brise des cœurs et brise sa promesse. Gavin ne frappe pas les femmes, mais Gavin les blesse avec les mots. Il se bat dans les bars, collectionne les cicatrices.

Lorsqu’il entre dans la police de Détroit, il se fait rapidement détesté par l’ensemble de ses collègues. Il en est fier. Il y a, lors de cette période, un moment de répit éphémère dans sa vie. Il gagne de l’argent, il résout les enquêtes qu’on lui donne, il sait qu’il va monter rapidement en grade. Il pense définitivement que la chance lui sourit enfin lorsqu’il fait la rencontre d’Elizabeth Clara Fields. Il ressent un sentiment étrange quand il la voit, il a dû y réfléchir pendant quelques semaines avant d’en comprendre la signification ; il est choqué de se savoir amoureux. Ils emménagent rapidement ensemble, Gavin est tellement heureux qu’il se contente de ne rien dire quant au métier de sa chère et tendre, peu importe à quel point il n’aime pas les androïdes.

Mais les mauvaises habitudes ne peuvent changer si facilement. Gavin ne se sent pas assez bien pour elle, la pensée qu’il va lui faire du mal l’obsède. C’est après l’avoir frappé dans un cauchemar qui l’a laissé éveiller toute la nuit, avec une sensation de malaise et de culpabilité injustifié, qu’il reprit ses conquêtes. Il n’a pas le courage de rompre avec elle, alors il espère qu’elle remarque le parfum des autres sur lui, le changement de mot de passe sur son portable, les traces de lèvres rouges dans son cou…

Voir ses valises en bas de l’immeuble en rentrant du travail fait plus mal qu’il ne le pensait. Regrettant son erreur, il s’entend lui supplier de le pardonner, essai d’ouvrir la porte avec la serrure, abandonne.

Gavin est de retour au point de départ. Il vit seul.

Il déteste les androïdes, et de tous les androïdes, c’est Connor qu’il déteste le plus. Monsieur parfait, aucune erreur, dans ses gestes, dans son travail, dans son apparence. Il est tout l’inverse de Gavin. Il ressent l’envie de le détruire.

Alors, lorsque les androïdes acquièrent leur liberté, parce qu’il ressent de la jalousie mêlé à de la haine, lui qui ne pourra jamais se sentir libre, il a décidé de rejoindre l’Opposition, pour se venger de ces machines qui l’ont empêché d’être heureux.