Wanna play some more ? • feat. Evan SF600

Dans sa vie d'égocentrique, Evan n'avait que deux lieux préférés : son chez-lui et son lieu de travail juste en-dessous.

La découverte du monde extérieur ne l'excitait pas plus que ça, sans doute à contrario de la plupart des androïdes depuis qu'ils ont chacun été libéré de leur fonction première. Mais la sienne ? Jamais il n'a cessé de l'aimer. De ce fait, non pas qu'il était de toutes évidences coincé ici ou à côté, mais il n'envisageait que rarement de se promener en ville. Sauf ce soir-là.

Peut-être que l'ennui, à un moment ou un autre, allait de toutes évidences frapper. Mais ça l'avait frappé comme ça : il avait prit sa veste, la porte, et s'était dirigé les mains dans les poches vers une enseigne dont il voyait régulièrement la pub sur Internet, ces derniers temps... Sans doute que ça l'agaçait un peu, en fait.
Une salle d'arcades, pas aussi semblable à la sienne, mais plus grande, moins neuve, et surtout plus populaire. Fier de ce qu'il était, Evan ne se sentait pas de continuer son boulot sans jamais comparer ses compétences à celles de la clientèle du concurrent.

Après tout, s'il pouvait aller là-bas, péter deux ou trois bouches virtuelles pour les inciter à venir se venger au Ready Player, puis se barrer ensuite, pourquoi pas. Ça ferait sa soirée.

Il avait attiré l'oeil de quelques connaisseurs en traversant la salle, mais en avait attiré encore plus une fois posé à une borne.

- Hah ! J’t’ai défoncé, t’es vraiment un noob ! Allez, reviens me voir quand t’auras farm ce jeu à fond.

Petit à petit, la foule se formait, certains le reconnaissaient et l'acclamaient. D'autres étaient du côté de ceux qui jouaient contre lui. Evan, quelques fois, se permettait quelques petits commentaires sur tout ce qu'il comparait à sa propre salle d'arcades.

- C'est vraiment nul, ici. Les bornes sont moins vieilles, mais les jeux sont trop faciles ! On vous prend pour des bébés ou quoi ?

Parce que la génération avenante se mettait à la manette de plus en plus tôt ? Qu'en était-il de l'époque de la Megadrive et de ses niveaux « facile » infaisables ? Au moins, le charme du Ready Player pouvait compter sur ses vieilleries et sa nostalgie du rétrogaming (ou du gaming actuel, mais il ne fallait pas trop copier ce qu'on voyait déjà ailleurs en ville).
Comme au taff, il se sentait de plus en plus comme chez lui. C'était encore plus grisant, comme sensation, de se faire acclamé par une clientèle qui n'était même pas la sienne à la base. Il devrait songer aux compétitions de niveau internationale, tiens, ça lui plairait sûrement.

C'est là qu'une main apparut sur le bord de la borne.

« Eh. Yo. T’es doué. Une partie ? »

Aucune idée de qui c'était, mais si on cherchait la bagarre, il la donnait volontiers. Sûr de lui et toujours en quête de victoire, Evan sourit à la blonde et se redressa un peu sur son siège. Il lui indiqua alors la place de libre.

- J'suis là pour ça. Amène-toi.

Il attendit (cinq secondes) que la nouvelle challengeuse s'installe, sous certains rires indiscrets de gamers qui voyaient déjà une jeune fille se faire latté en moins de deux, avant de reprendre :

- Tu connais, je suppose ?

Le jeu pouvait se faire à plus de deux, mais s'il n'y avait qu'eux, les IA des bornes se chargeaient de combler les équipes. Un FPS en somme toute classique, dont le but était à la fois de gagner un maximum de point en touchant diverses cibles, et d'éliminer les adversaires. Le jeu prenait fin lorsque tout le monde était descendu ; à voir donc si cette nana allait avant tout se concentrer à tirer sur les IA adverses, ou à collecter des points d'abord.
Evan avait plusieurs façons d'opérer sur ce jeu, mais une petite analyse de celle utilisée par son ennemie s'imposera. C'était pas de la triche, hein ! On ne pouvait pas le juger de faire ce qu'il savait faire !

- Les dames d'abord, se moqua-t-il gentiment en laissant la demoiselle choisir le skin de son armée.

Oh, comme c'est mignon, elle pensait pouvoir le battre. L'androïde souffla du nez, presque attendri par cette naïveté. Enfin, si d'ordinaire, n'importe quel autre adversaire serait bel et bien « attendri », Evan, lui, avait plutôt tendance à se moquer véritablement. Sans être méchant, ça va de soi. Il ne s'agirait pas, au quotidien, d'être grossier au point de faire fuir la clientèle.

En observant le choix de son adversaire, Evan ne commenta rien. Il se contentait de regarder l'écran, patiemment, en jugeant peu à peu ce qu'elle faisait. Sûrement loin d'être bête, la demoiselle opta pour quelque chose qui assura sa défense et de quoi fuir en dernier recours (sage décision qu'Evan considérait toutefois comme une méthode pour retarder l'échéance de la défaite).

Ou bien, peut-être comptait-elle profiter de ces statistiques pour prendre le temps de parcourir la map et d'ainsi repérer les points de spawn des items ? Bonne tactique, mais peut s'avérer désavantageuse si l'ennemi en face n'avait qu'une idée en tête : massacrer son armée. Sans doute allait-il opter pour ça, en n'étant pas qu'un gros lourdeau qui fonce juste à la poursuite du joueur pour lui tirer dessus par rafales.
Lorsque vint son tour de choisir, Evan bougea rapidement son curseur. Son analyse du choix de la challengeuse l'amena surtout à l'agilité de son skin choisi. Il fallait en sélectionner un qui pourrait contrebalancer celui-ci. Confiant envers ses tactiques, il choisit alors quelque chose de plus puissant en terme d'attaque, avec un bonus de précision. De ce fait, si l'armée de cette fille se fait la malle, il a toujours une petite chance de prendre l'avantage, au moins de pouvoir tirer à distance sans perdre trop de munitions.

« T’as pas mal de public. T’es un habitué de la salle ? »

C'était le genre de remarques et de questions qui pouvait faire gonfler son égo. Comme un maître surplombant toute une contrée, Evan redressa les épaules et répondit non sans fierté :

- Pas du tout. J'ai un meilleur royaume ailleurs.

Rameuter de la clientèle tout en s'imposant comme grand gamer chez la concurrence, si ça c'était pas à la fois le meilleur engrais pour ego et la meilleure pub, alors il ignorait ce que c'était. Il adressa alors un regard vaniteux à la jeune fille.

- J'suis du Ready Player, à la base, il saupoudra alors ses mots d'un clin d'oeil. C'est mieux là-bas qu'ici.

Il se remit ensuite plus droit à sa place, regardant les écrans. Maintenant que les skins étaient choisis, une multitude de cartes roula sous leurs yeux, une roue intégrée dans la borne choisissant la map du jeu au hasard.
Est ce que ça sera la forêt ? Avec des arbres si hauts que l'on pouvait y poser des pièges que beaucoup de novices ne pouvaient prévoir en passant sous les branches ? Ou alors celle de la mer ! Ses vagues aléatoires faisaient de cette map une sorte de champ de mines qui rendait parfois certains points de spawn et respawn mortels...

Ah non, c'était le volcan. Les graphiques de la borne avaient au moins de quoi en mettre plein la vue : la lave était brillante, faisant de la moitié du sol un terrain dangereux sur lequel il valait mieux ne pas traîner. Sans oublier les quelques geysers qui crachaient des rochers énormes à certains moments. Un petit sourire fendit la malice de l'androïde :

- Ah, cool...

Ce qu'il préférait le plus sur cette map, n'empêche, ça restait les tremblements de terre quasi imprévisibles car totalement randoms. Le jeu demanda alors aux deux participants s'ils étaient prêts.

- Parée à prendre ta claque ?

C'est vrai que tout de suite savoir d'avance qui des deux va gagner, ça fait perdre un peu de son suspens au jeu... Mais le suspens pour les androïdes, n'était-ce pas une sorte d'ironie ? Pour Evan, ça ne faisait rien : il aimait tout particulièrement savoir qu'il était fort, et il était peu pensable pour lui de perdre face à quelqu'un qui n'a même jamais joué contre lui. Après, que cette fille soit une gameuse ou non change peu de choses : d'autres participants affrontés plus tôt sont eux aussi des maniaques de la manette, et pourtant, ils sont tous partis en râlant...

« Eh mais, le mec que je connais de là bas s'appelle Evan aussi ! »

Il tourna la tête vers elle, haussant légèrement les sourcils. Bien sûr, il n'y avait qu'un seul Evan qui se trouvait régulièrement au Ready Player, et c'était lui. Il en connaîtrait un autre, il serait au courant. Mais il connaîtrait cette fille, il serait au courant aussi. Le temps que le jeu charge, l'androïde analysa les traits de l'humaine qui se tenait là.

Il ne reconnaissait rien chez elle. Ni son visage, ni sa chevelure, ni ses yeux, pas même sa voix... Rien de cette personne n'était enregistré dans ses données. Alors quoi, d'où se connaissaient-ils ? À moins qu'elle ait employé les mauvais mots, peut-être qu'elle connaît certes un Evan du Ready Player, mais de loin. Ça ne l'étonnerait pas, après tout ; il fait à moitié partie de la pub de son lieu de travail.

En lisant le « pseudo » qu'elle avait entré, Evan songea qu'au pire, il pouvait toujours fouiller dans ses souvenirs où se trouvait la concordance. Mais il y avait tellement de joueurs qui foutaient des tirets partout dans leurs pseudos, et il en avait affronté des centaines... qu'il valait mieux se concentrer sur le jeu. La map du volcan se révéla alors un peu plus aux deux compétiteurs. Evan regarda de nouveau l'écran.

Connaissant l'habitude des PNJs à se disperser un peu de la même façon qu'à chaque fois, Evan ignora leurs mouvements et se cacha dans une partie de la « flore » (c'est-à-dire, ici, de la caillasse). Beaucoup de joueurs avaient tendance à foncer pour aller trouver des items cachés ici et là, mais certains oubliaient que des spawns pouvaient se trouver déjà derrière eux.
Evan repéra facilement les pièges (bon, d'accord, c'était un repérage si facile que ça rendait le jeu ennuyeux par cet aspect-là), et en récupéra quelques-uns, via les items, pour les mettre près des murs proches de son camp.

Où était cachée son adversaire humaine ?

Il voyait bien au loin quelques fois des PNJs ennemis, tirait sur des cibles posées ici et là dès qu'il en croisait, mais il aimerait savoir où elle se situait elle. Le mieux, pour le moment, était de bloquer tout ce qui ressemblait à des bonnes cachettes. L'androïde se hâta de transformer autant de parois qu'il le pouvait en « contact blessant » afin de démasquer la player 2.

Pendant leur jeu, le compteur qui indiquait le nombre de soldats restants diminuait doucement ; les IA pour l'instant seulement confrontées à d'autres IA.