Games People Play [Feat. Leilani Richardson]

Nous avions un espion dans nos rangs, j'en étais persuadée. Une taupe qui filtrait nos informations à l'extérieur des murs de l'Opposition. Je n'avais aucune preuve concrète, ni même une idée précise du coupable, pourtant je sentais bien que quelque chose se tramait à notre insu. Je finirais bien par trouver (comme toujours). Habituellement, je demanderais à mon équipe d'espions, mais cette fois-ci, je comptais bien le faire en solitaire ; on me soufflait à l'oreille qu'il s'agissait peut-être de l'un d'entre eux. Mais qui ? Je consultais mes nombreuses données que j'avais accumulées depuis de nombreuses semaines sur mon équipe personnelle. Je commencerais ma petite enquête en commençant par Morrow. Je le trouvais suspect depuis quelques temps, comme s'il tentait de me « fuir ». Ce serait bien dommage s'il me cachait quelque chose. Bien qu'il eût été mon homme de main depuis tant d'années, je serais dans l'obligation de disposer de lui s'il était cet infidel. J'allais le garder à l'œil un moment. Je pianotais sur ma tablette, le portrait des opposants défilant les un après les autres.

Bon, en second, j’irais récolter des informations sur Perséphone aka miss Wanda Allen, 28 ans, fidèle hackeuse pour les Opposants. Elle avait la couverture parfaite pour se faire passer comme pro-androïde ; elle travaillait avec eux à CyberLife (ou plutôt « CyberHostpital »). Une personne comme elle dans nos rangs était toujours très précieuse, alors j’osais espérer qu’elle n’était pas cette agent double. L’éliminer en serait une grosse perte (et d’une tristesse, ne me prenez pas pour une insensible !). Mais un traître était un traître, et aucune exception ne sera fait sur le sujet. Si nous ne voulions pas que les machines remplacent la population complète de la planète d’ici une décennie, l’Opposition devait rester haut et droit en éliminant tous obstacles se dressant dans son chemin.


Je m'étais accoutré de cette jolie robe rouge et d'un long manteau beige. Je ne passais pas inaperçue, j'étais très belle. Je jouissais de mon pouvoir de faire tourner les têtes sur mon passage ; ne faites que regarder, car vous n'alliez rien avoir de plus. Je pouvais très certainement courtiser qui je voulais. Je gardais tout de même la possibilité que Wanda était hétérosexuelle, mais je n'en changerais pas la donne, je la charmerais pour en faire une amie de confiance. J'étais Vénus, après tout. C'était ma spécialité. J'allais m'asseoir au petit café du coin et j'attendais patiemment que Wanda termine son travail pour la journée.

La voilà, c'était à moi de jouer. Je devais trouver une façon subtile pour l'aborder. J'optais pour la technique la plus clichée qui soit, mais qui avait un taux de succès à plus de quatre-vingt-cinq pourcents. Je n'ai pas attendu très longtemps pour la voir apparaître. Je me suis avancée vers ma cible, qui était absorbé par l'écran de son téléphone et nous sommes entrés en collision. Je n'avais pas prévu qu'elle me percute aussi fort, ce qui m'a fait perdre un peu l'équilibre. Une fois en balance sur mes talons, je remarquais que le portable de la brunette était sur le béton du trottoir. Bon, au moins maintenant, elle n'avait plus le nez collé à son téléphone ; un problème de réglé, je pouvais facilement l'aborder. J'ai pris bien soin d'écraser « accidentellement » son téléphone qui était sur le sol, me déstabilisant une seconde fois.

« Oh ! Je suis terriblement désolée, je n'ai pas regardé où je mettais les pieds ! » m'exclamais-je d'excuses en parfaite actrice que j'étais. Je me penchais pour récupérer le téléphone de ma hackeuse préférée qui s'était retrouvé au sol. Je me refondais d'excuses en prenant conscience que l'appareil était bel et bien brisé. « Votre téléphone a fait une mauvaise chute. Tout est ma faute ! Acceptez que je vous paye les réparations… Ou plutôt, un nouveau téléphone, vus l'état de l'appareil. »  C'était une bonne excuse pour passer un peu de temps avec Wanda et récolter le plus d'informations possibles sur sa personne. « Au fait, je m'appelle Leilani » , je devais tout de même me présenter ; cette charmante enfant ne connaissait que Vénus. Je la regardais en souriant, en essayant de rester le plus embarrassé par cette situation assez clichée.

Je lui proposais de payer pour les réparations de son téléphone puisque je l’avais complètement détruit. Bien évidemment, la jeune femme refusait, peut-être un peu mal à l’aise d’accepter un tel cadeau de la part d’une parfaite inconnue. Il y avait certes la possibilité que son téléphone avait une garantie au cas de bris, mais à en voir le modèle, il ne faisait pas partie de la gamme 2039-2040. En tant qu'espionne et hackeuse pour mon groupe d’opposants, je croyais qu’elle était, disons, un peu plus à jour sur la technologie – du genre à aller au lancement de tout nouveau produit. Ça ne fait rien, je n’insistais pas davantage, certaine que Wanda n’allait jamais accepter l’argent que je lui offrais, quel que soit le montant. Je garderais mon argent pour m’acheter des trucs plus utile pour le bien-être de ma personne.

« Alors laissez-moi au moins me faire pardonner en vous invitant dîner dans un petit bistro, Chère Wanda. À moins que vous soyez une androïde, dans ce cas, que pourrais-je faire pour excuser ma maladresse ? » lui demandais-je poliment.

J’attendais sa réponse. Je devais avouer que j’avais très faim présentement, peut-être aurais-je plus de chance en l’invitant au restaurant plutôt que de lui payer les réparations du téléphone ; le coût était largement différent et beaucoup plus raisonnable. Ça me permettrait de me mettre quelque chose sous la dent tout en récupérant quelques renseignements supplémentaires sur sa personne. Je tenais absolument à savoir, besoin de connaître Perséphone dans la vie de tous les jours. Qui était-elle vraiment ? Une bonne petite Opposante qui avait conscience que les androïdes remplaceraient l’être humain dans le monde rapidement, ou bien une militante rebelle qui n’avait que pour but de détruire la mission de mon cher groupe d’extrémiste, de l’intérieur. Oui, les méthodes de l’Opposition étaient assez troublantes, mais ce n’était que temporaire, le temps que la population ouvre leurs yeux sur leur futur et le futur des générations suivantes.

« Aller, venez. C’est tout près, » insistais-je encore une fois, un sourire chaleureux aux lèvres. Je n’aimais pas trop redemander, répéter encore et encore. J’avais l’habitude qu’on me dise oui à la première occasion. « Vous allez voir, ce bistro est divin ! Et ils offrent une très grande variété de choix pour tous les appétits. »

Nous nous dirigions vers le petit restaurant dont je parlais. Très beau, très calme, cependant, la clientèle de l’établissement semblait un peu snobe. Depuis son ouverture en 2037, le menu raffiné avait attiré les plus fortunés de l’État. Bien sûr, je m’étais rapidement fait une place parmi ses gens où je rencontrais le chef-propriétaire à maintes reprises. On me connaissait bien ici, on m’aimait bien. L’hôtesse, une androïde noire aux yeux d’un bleu rappelant l’aigue-marine et au corps menu, vient nous accueillir. Je lui fais signe que nous ne sommes que deux et la voilà nous demander de la suivre vers une table au fond du restaurant. Elle nous expliquait les repas de la journée avant de repartir pour nous laisser faire un choix.

« Cet endroit, je l’adore ! » J’accentuais le dernier mot ; très rare était les personnes qui avaient eu une mauvaise opinion de l’endroit. « Vous avez sûrement déjà venu manger ici, n’est-ce pas ? » Je lui adressais un sourire. « Pardonnez ma curiosité, que faite vous dans la vie, Wanda ? » Et la séance de questions pouvait enfin commencer.

Je demandais à la femme devant moi si elle était déjà venue manger dans ce restaurant. Sa réponse, négative, me laissait surprise. « Jamais ? Vous manquez quelque chose, c'est certain ! » La nourriture était délicieuse, c'était un gâchis de n'avoir jamais mis les pieds dans un tel endroit. Nous sommes entrés dans le restaurant et on ne tardait pas à venir nous accueillir pour ainsi nous désigner une table. Tout en regardant le menu électronique pour faire nos choix, je demandais à Wanda ce qu'elle faisait comme métier. Je me suis mise à rire lorsqu'elle me dit qu'elle travaillait à CyberLife en t'en que médecin pour androïdes. « Ah ! Je comprends pourquoi vous n'avez pas accepté que je vous paie votre portable, alors ! Vous avez une bonne stabilité, je vois. » Elle me retournait ensuite la question.

« Eh bien, pour toute honnêteté, je ne travaille pas. Enfin, pas pour un revenu, mon chéri est riche et il subvient à mes besoins. Cependant, je travaille en tant que bénévole pour la ville. Je fais plusieurs choses pour passer le temps et tenté d'aider la ville pour la voir prospérer. » On venait nous interrompes pour prendre alors nos commandes. « Même chose qu'à l'habitude, s'il vous plaît, » disais-je à l'androïde qui enregistrait nos choix. Je me retournais enfin vers Wanda lorsque l'androïde nous quittait. « J'aime ça ici, le service est rapide et on mange délicieusement bien ! » J'avais si faim que je ne cessais de venter la nourriture d'ici, la pauvre femme devant moi en était sûrement marre de toujours m'entendre répéter le même discours.

Comme je l'avais énoncé un peu plus tôt, on ne tardait pas à venir nous apporter nos plats. La présentation était magnifique, comme toujours, et nous nous régalions. Enfin, je me régalais. Nous continuions à parler de tout et de n'importe quoi ; j'aimais bien en savoir plus sur ma petite opposante douée en informatique et en hacking. Décidément, personne ne pourrait deviner qu'elle fait partie de notre groupe antidéviant ; elle cachait très bien son jeu. Du coup, lorsque nos repas furent enfin terminés, ramassés, payés (- « Mettez-le tout sur mon compte, s'il vous plaît » , « Oui bien sûr. » -) et que nous étions sur le point de mettre nos manteaux pour repartir chacun de son côté, je confirmais finalement que miss Perséphone n'était pas notre taupe. Le problème restait encore le même, bien que je puisse lui faire confiance.

« Ce fut un plaisir de vous avoir rencontré, très chère Wanda. En espérant que nos chemins se recroisent, » déclarais-je en lui donnant la poigne, radieuse en souriant. Nous nous sommes finalement quittés en ne nous échangeant point nos numéros et coordonnés. Seul le futur savait si nous allions nous rencontrer de nouveau en tant que civil. Pour Perséphone et Vénus, c'était une tout autre réalité.