Event 1 ○ Commémoration des Massacres

Woodward Avenue, Janvier 2040.

La foule commence à arriver. Les journalistes, armés de leurs caméras et micros, tirés à quatre épingle se préparent à travailler. Les techniciens finissent les derniers préparatifs. L'écran géant commence à grésiller. Bientôt, par son intermédiaire, la présidente des Etats-Unis d'Amériques, Cristina Warren, parlera au peuple américain pour lui montrer sa sympathie et son soutien en cette journée.
Cette fameuse nuit où Détroit fut frappée par un des crimes les plus sanglants de son histoire.
Ce soir-là, beaucoup ont perdu un frère, une sœur, une mère, un père, un mari, un(e) ami(e) dans des circonstances horribles.
Mais aujourd'hui, la foule est là pour commémorer la mémoire de leurs défunts et témoigner leur soutient aux survivants. 

Mais est-ce que tout se passera comme prévu pour le bien de tous?

Ah, Détroit, même dans les pires moments cette ville ne cessait d’impressionner la russe. Elle qui courait de gauche à droite dans les magasins afin de trouver le déguisement parfait pour son protégé qui devait l’accompagner plus tard lors de la commémoration des massacres. Irina n’aurait pas pu rester les bras croisés à la maison à ne rien faire, même sans avoir créé une mission personnelle à son cher androïde, c’était une journée qu’elle ne pouvait absolument pas manquer. Elle s’arrêtait pourtant net dans sa course, bousculée par un homme qui passait par là « Regarde où tu marches! » avait-il crié d’une voix agressive. La jeune policière avait aussitôt levé ses sourcils dans l’intention de répondre fermement, mais en avançant son pied elle entendit un craquement sous sa botte. C’est en baissant les yeux qu’elle remarquait l’état pitoyable de son talon, forcée de soupirer alors qu’elle avait passée la journée entière dans les magasins, elle devait en plus s’acheter des souliers en urgence. Elle se penchait délicatement, détachant les lacets de sa bottine, retirant la chaussure et se retrouvant en bas à même les dalles mouillées du ciment de Détroit. Il faisait un froid de canard, en plein janvier, ce n’était décidément pas le temps qu’elle reste plantée en plein milieu d’une allée (piétonne ou pas). La jeune femme se dépêchait, entrant dans une des boutiques dont elle connaissait les recoins par cœur – faisant fondre son chèque de paye dans des habits dont elle n’avait pas besoin- avec ses cheveux d’un teint enflammés bondissants derrière elle, la jeune femme se rendait dans la section des souliers. Ça aurait dû s’arrêter là, sauf qu’elle retournait sa tête vers un détail très précis, un androïde se promenant avec une paire de lunette au visage. Il souriait -de façon très niais- en voyant qu’elle le dévisageait. Le pauvre devait s’imaginer qu’elle était une de ces personnes racistes – ou bien qu’elle eût eu le coup de foudre la seconde où elle avait posé ses yeux sur lui- mais il semblait extrêmement inconfortable de se faire fixer intensivement. Irina réfléchissait rapidement, son cerveau allant à vive allure, elle changeait sa direction presque immédiatement. « Irina, non, bottes avant. Plan ensuite. » se rappelait-elle en revenant vers le magasin, secouant inconfortablement sa main vers l’androïde qui l’évitait désormais du regard, elle s’en pinçait les lèvres. Si seulement il savait qu’il avait tout simplement ouvert une nouvelle possibilité de déguisement pour la jeune femme. Les androïdes n’ayant pas besoin de ces accessoires, son petit protégé passerait totalement incognito une fois qu’il aurait revêtu ce détail additionnel aussi simpliste que brillant. La jeune femme faisait un achat rapide, repartant avec des nouvelles bottes aux pieds et courant vers la première lunetterie sur sa route. Elle saisissait la paire parfaite, demandant des verres bien ordinaires et quittant vers le bus en un rien de temps. Une fois à la maison elle sautillait presque en approchant Adrian, déposant les sacs près de lui, souriant de plus belle. « J’ai exactement ce qu’il te faut pour aujourd’hui…à un détail près. Va l’enfiler, je reviens. » et après cette exclamation elle allait dans sa chambre pour creuser à nouveau dans sa garde-robe. Elle était certaine d’avoir encore une boîte de vêtements appartenant à un de ses ex dont elle n’avait pas eu le courage de se défaire. Elle jetait ses morceaux de vêtements de gauche à droite en fouillant partout pour finalement tomber sur le vieux carton qui avait pris la poussière. Il lui suffit de l’ouvrir pour en sortir le bonnet encore dans un état impeccable. Soufflant ses cheveux hors de son visage, elle se relevait, retournant vers son caneton avant de relever les yeux. Son souffle était coupé, immédiatement sous le choc de la vision qu’elle avait en face d’elle, ses lèvres se cambrant dans une admiration qu’elle n’aurait crue un jour afficher sur son visage. Penchant sa tête, elle le regardait de haut en bas, véritablement impressionnée par ses talents de styliste. Peut-être avait-elle manqué sa vocation finalement. Mais le silence était pesant, inconfortable, Carlos fini par s’éclaircir la gorge afin de réveiller sa colocataire qui ne lâchait plus des yeux le jeune androïde. « Oh! Oui, je suis là! » elle se raclait la gorge à son tour, s’approchant d’un pas sautillant vers Adrian, enfilant le bonnet sur sa tête avant de prendre du recul pour voir le look complet. « Tu sais quoi… » murmurait-elle doucement vers son colocataire. « Ça lui va vachement bien ce look, tu ne trouves pas ?! »

Se mélanger à la foule était facile, les gens commençaient à arriver quand la jeune femme d'origine russe débarquait en compagnie d’Adrian, remarquant immédiatement la présence des journalistes qui installaient le matériel. Elle prenait une grande inspiration, cachant sa nervosité, tenant la main de son protégé fermement afin de ne pas le perdre en ces lieux. Irina n’avait pas de sourire cambré sur ses lèvres alors que son regard se promenait sur les différentes personnes sur la grande place. Il y avait une ambiance lourde, une mélancolie entourant les corps, une tristesse grandissante sur tous ceux présents. Ce n’était pas une fête foraine, ce n’était pas une partie de plaisir, mais c’est en étant présente sur ces lieux qu’elle se rappelait ce pourquoi elle se battait. Des gens parmi la foule avait tout perdu aux mains de l’opposition, il n’était pas question pour la jeune policière que cela arrive à nouveau, elle se battrait avec tout ce qu’elle avait pour l’empêcher. En avançant parmi les gens elle regardait autour d’elle, observant minutieusement les différents visages, sans pour autant être capable de tous les remarquer. Elle était sur la défensive, prête à des représailles, tenant le jeune adulte tout près d’elle. L’heure n’était pas encore au message de la présidente, mais Irina était attentive, du moins autant qu’elle pouvait l’être avec l’anxiété coulant dans ses veines. Elle était venue afin de voir si Adrian serait apte à identifier quelqu’un dans la foule, prête à tout pour obtenir des informations supplémentaires et ainsi réussir à arrêter un membre de l’opposition. Elle était ambitieuse -peut-être trop- et prenait des risques inutiles afin de parvenir à son but. Mauvaise idée? Nous allions l'apprendre bien assez tôt. « Tu me dis si tu veux qu’on arrête quelque part, okay лисенок*? » Adressait soudainement la rousse en se retournant vers son androïde. Le bonnet cachant sa diode, les lunettes en faisant un véritable clark Kent des temps modernes, elle avait confiance que tout se passerait bien.

Des centaines de personnes étaient déjà éparpillées sur la place publique lorsque Leilani se présenta sur Woodward Avenue dans ses jolis habits Armani. Elle ne s'avança pas davantage, préférant rester à l'arrière pour une vue plus générale de la foule qui se tenait muette dans cette journée froide d'hivers. Le vent la fit frissonner, provoquant la réaction de se frictionner les mains et les avant-bras pour essayer de créer un peu plus de chaleur supplémentaire. Elle se fit promettre de parler à Dixie en revenant de la commémoration ; si l'Opposition planifiait une seconde attaque du genre « Nuit des Massacres », il serait peut-être plus préférable de l'organiser au printemps, pour éviter de se geler à l'extérieur. Vénus détestait l'hiver. Mais cette saison froide était beaucoup plus tolérable que ces « Déviants ». De simples machines utilitaires qu'on avait programmées avec un peu trop de ressemblance avec l'humanité. Illusion d'un être parfait. Ils commencent pour vous aider dans la vie de tous les jours, puis vous prendre vos emplois, pour ensuite vous remplacer tous, être humain. Cessons cette mascarade, ce n'était pas un futur que l'humanité voulait à leurs enfants et leurs petits-enfants. L'être humain dépendait beaucoup trop de ces robots. Par exemple ; cette commémoration. On pleurait êtres-humains et machines. Situation ridicule. Oui, c'était fâcheux si on vous brisait votre précieux téléphone, surtout si ce-dit appareil n'avait plus sa garantie admissible à un remboursement ou un échange. Mais de là à organiser un événement pour pleurer du plastique. La femme trouvait la situation pathétique.

Contrairement aux raisons qu'elle avait comptées à Keith et Dixie, Leilani était sur place pour rendre hommages aux familles humaines à qui l'Opposition avait volé un proche durant cette terrible nuit du 20 au 21 novembre. Ses pensées allaient aux défunts, pas aux robots. La femme jeta un coup d'œil vers les journalistes qui, au loin, espéraient silencieusement en vain quelque chose de plus juteux qu'une simple commémoration, les appareils prêts à attaquer aux moindres petits gestes. Ces journalistes n'avaient pas entièrement tort ; un si grand nombre de robots et de pro-déviants fourmillaient çà et là, s'en était presque du gâchis si l'Opposition ne se mêlait pas dans la foule pour les surprendre avec une petite attaque pour la forme. C'était si simple, si tentant. Mais pour le moment, Leilani patientait sagement le discourt de la Présidente, humant l'air glacial et de terreur en cette journée de janvier.

Merde. Il y avait beaucoup plus de personnes que je l'aurais crus. Pourtant, c'était… très calme pour une foule de cette envergure. La plupart chuchotait, attendant sagement le discours déchirant de la Présidente des États-Unis. Du moins, c'était l'impression que j'avais. Il se pouvait fortement que j'entendais toutes ces personnes parler en sourdine, réaction de mon anxiété que je sentais croitre à chaque pas dans cette marre de gens. J'agrippais la main de Ian pour chercher un peu de réconfort pour confronter la foule attristée. Je devais essayer de me calmer. Faire marche arrière était hors de question, je voulais absolument être présent ici, pour démontrer mon soutien. C'était important. C'est tout ce qui comptait. Je pensais à tout ce monde qui avait perdu famille, amis, collègue ; nous connaissions tous, de près ou de loin, une victime de cette nuit des horreurs.

Un peu plus tôt dans la journée, j'avais demandé à Ian de m'accompagner à la commémoration. Requête étrange, puisque je lui avais souligné que je ne voulais pas y assister en premier lieu, qu'il serait préférable d'écouter le discours de la présidente bien en sécurité dans le confort de notre salon. Je ne le cachais pas ; j'étais craintif à l'idée de me retrouver ici. Mon esprit se permettait d'imaginer plusieurs scénarios différents, tous plus lugubre les uns que les autres. J'énumérais un nombre incroyable de « et si ? » ; et si le groupe terroriste décidait de provoquer une seconde attaque ? et si cette dite attaque se déroulait pendant la commémoration, éliminant ainsi tous androïdes et pro-androïdes présents sur place ? et s'il y avait une bombe dissimulée, à quelque part ici ? et si Ian mourait ? et mes amis ? et… tout le monde ? Je ne pouvais m'empêcher de lui serrer davantage la main. Une chance que les androïdes n'aient pas le même seuil de douleur que les humains, le pauvre se plaindrait sûrement du fait que je voulais lui écraser les jointures (bon, je m'assurais tout de même que ses doigts ne perdent pas leurs couleurs ivoires clairs habituels. Quoi que…). Pour me faire pardonner, j'approchais la main de Ian à quelques centimètres de mon menton et j'y déposais un petit baisé discret tout en lui lançant un regard rempli d'incertitudes. Désolé désolé, je ne veux pas te faire du mal.

« Essayons d'éviter de se retrouver en plein milieu, d'accord ? », j'espérais sincèrement que mon caprice soit exaucé d'une quelconque façon. Il y avait tant de monde qui ne cessait de s'ajouter à la foule déjà abondante, c'était facile se retrouver au centre par mégarde.

Je regardais autour de moi dans le but de trouver une petite place un peu moins peuplée. La gauche me semblait un peu plus vide que la droite, alors je me frayais chemin dans cette direction, essayant de ne bousculer personne (pourquoi être si rapproché les uns des autres ? Il y avait pourtant beaucoup d'espace…). Mais à peine notre chemin entamé que je remarquais une tête familière. Devais-je m'arrêter pour aller voir la rousse parmi tous ces gens ou poursuivre vers le côté, là où il y avait moins de personnes ? Je regardais Ian. Sans même lui poser la question, je savais qu'il apprécierait d'aller retrouver sa meilleure amie. Et puis bon, Irina était policière et connaissait des techniques de combat de fou. Si jamais on se faisait attaquer, elle serait là pour nous défendre, si ? Bien que contre une bombe, la Russe ne pourra pas faire de miracle.

« Irina est là. On la rejoint ? » Fausse question ; nous avancions déjà dans sa direction.

Nous marchions vers elle pour la rejoindre. Quelques secondes s’écoulèrent avant que je remarque la présence de… Adrian (?) à ses côtés. Si c’était bien l’androïde (bien sûr que c’était Adrian, pas de doute, il accompagnait toujours Irina où elle allait), il avait changé de look et le port de lunettes lui allaient très bien.

« Hey. Ça vous dérange si on vous tient compagnie le temps du discours ? », disais-je d'une voix encore un peu chamboulée. Je ne l’avouerais jamais, mais le fait d’être à côté de Irina, présentement, me rassurait.

Woodward Avenue, Janvier 2040.

Madame la Présidente entame son discours tant attendu par les citoyens. Elle fait par de sa tristesse envers les victimes de l'année dernière, et demande une minute de silence. Après cette minute pesante, elle déclare vouloir un pays en paix, en faisant en sorte d'aller de l'avant. Avant de partir, elle bénit les citoyens et souhaite ses meilleurs vœux.
Toutes les personnes présentes rentrent silencieusement chez eux, le cœur lourd de tout le massacre qu'il y a eu, il y a un an tout pile.

Bonne année 2040.