Gabriel -/- une histoire de loyauté

Monsieur et Madame Allen avaient fini par se rendre à l’évidence : il leur fallait un androïde pour prendre soin de leur fille. Les êtres humains à qui ils avaient confié cette tâche n’avaient pas été à la hauteur et beaucoup avaient fui. Comment leur en vouloir ? Il faut avouer que même s’ils aimaient leur fille, ils étaient conscients qu’elle n’était pas des plus simples à vivre après son accident. Leur choix se porta sur un AP700, qu’ils nommèrent Gabriel comme pour l’humaniser... Son objectif était simple : prends soin de Jessica, en la gardant à l’œil nuit et jour, tout en lui offrant un terrain « supposé » neutre susceptible de lui permettre de s’ouvrir à nouveau au monde extérieur. Ce ne fut pas une grande réussite. Certes, l’Androïde était au petit soin pour Jessica et remplissait parfaitement son rôle de « nounou » autant il lui fallut énormément de temps pour ne serait-ce qu’ébréché la coquille dans laquelle elle s’était enfermée. C’est ainsi que Gabriel devint petit à petit « Toi » : un défouloir pour Jessica, tout comme quelque chose de rassurant lors des longues nuits, dans l’intimité de l’obscurité. Il s’était parfaitement intégré à la famille Allen.

Gabriel avait appris à rester dans l’ombre, à observer les comportements de Jessica pour anticiper dans la mesure du possible des comportements pouvant être dangereux ou lui attirer des ennuies. Il savait intervenir lorsque la situation l’exigeait sans s’imposer outre mesure. Il suivait les directives de Jessica tout en restant une sorte de garde-fou. Il manqua une seule fois à son devoir, et les conséquences auraient pu être dramatiques. Encore aujourd’hui, cette soirée le hante d’une certaine manière. Un week-end comme les autres de 2033 qui avaient viré au cauchemar. Gabriel avait perçu un changement significatif de comportement chez Jessica : des signes d’agressivité plus marqués et une certaine … Tristesse ? Elle lui avait donné l’ordre de partir pourtant quelque chose l’en avait empêché. Comme une erreur dans la matrice. Dans les fondements mêmes de l’androïde qu’il était supposé être. Il désobéit, sauvant ainsi la vie de sa jeune protégée qui avait pourtant décidé d’y mettre un terme. Il devait la protéger quoiqu’il en coûte.

Dissimulant sa déviance, Gabriel fit le choix de rester au côté de la jeune femme. Il supporta les changements qui semblaient s’opérer en lui, luttant pour exécuter des ordres qui ne lui semblaient pas toujours juste. C’était ce que l’on attendait de lui après tout. Les nouvelles jambes de Jessica ne lui facilitèrent pas la tâche. Les bêtises de son humaine s’accentuaient et il n’était pas rare qu’elle disparaisse dans la noirceur de la nuit pour s’attirer des ennuis. Son Androïde n’était pourtant jamais très loin, usant de stratagème plus imaginatif les uns que les autres pour garder un œil sur elle. Il devint rapidement très doué à ce jeu-là.

Le vote pour les droits des androïdes ne bouscula que très peu l’existence de Gabriel. Il avait fait le choix de rester à sa fonction première et non de s’émanciper contrairement à beaucoup d’autres. Il n’avait jamais eu à se plaindre de sa situation. Même s’il devait faire face à la mauvaise humeur et au cynisme de Jessica, il avait toujours été traité avec respect par la famille Allen. Et apparemment la jeune femme n’était pas prête à le laisser partir, se mettant en tête d’utiliser ses capacités en code pour le rendre « déviant ». Il la laissa faire et obtint ce statut ainsi que les droits l’accompagnant. Conscients de l’impact que Gabriel avait eu sur la vie de leur fille, Monsieur et Madame Allen firent de lui un membre à part de la famille, le laissant porter leur nom, dans la suite logique du respect mutuel qu’ils s’étaient toujours accordé. Il avait eu tellement de chance.

La décision de Jessica de partir pour Détroit fut un bouleversement pour Gabriel. Son premier pas dans l’inconnu depuis sa création et plus récemment sa déviance. Cette idée fit naître un certain enthousiasme chez lui, tout comme de l’anxiété. Sa protégée avait décidé de changer de vie pour retrouver une demi-sœur qu’elle détestait tant. Il l’avait entendu s’en plaindre pendant des jours depuis la révélation sans toutefois réellement saisir toutes les nuances des liens qui unissaient parfois les humains. Les liens du sang étaient-ils vraiment si importants ? Etait ce le goût amer de la trahison qui mettait Jessica dans tous ses états ? Difficile de vraiment savoir, d’autant qu’un autre point l’inquiétait grandement : Détroit n’était pas la ville la plus sûre des États-Unis. L’opposition contre la suppression de l’esclavage des androïdes avait atteint un tel niveau de violence que les cadavres d’Androïdes, mais également d’humains étaient retrouvés. À croire que c’était le moment idéal pour Jessica de se lancer dans une vendetta. La suivre était le seul moyen de la protéger contre elle-même, mais aussi du monde extérieur. Encore une fois, c’était Jessica et « Toi » contre le reste du monde.