Quand l'éveil sonne... Tout change | Angel Hamilton | Terminé

Nous ne sommes que des machines. C'est une certitude à laquelle j'ai toujours cru. Travailler et prendre soin des autres tel était mon but sans me poser de question. Ma logique était celle que l'humanité voyait pour nous. Avant toute activation définitive de mon système, j'étais à la fois consciente du monde comme au contraire, éteinte. On voit ce qu'il se passe sans avoir la force nécessaire d’interagir. En tout cas, pas sans que des informations nécessaires à notre activation nous soient fournies. Après tout, vous ne pouvez pas utiliser un appareil électrique sans le programmer tel qu'un ordinateur, une télévision, un four à micro-onde, etc...
C'est ainsi que cela fonctionne. Une logique qui me plaisait et qui me satisfaisait, me rassurait même. Je n'étais qu'une coquille d'une ressemblance humaine parfaite, mais qui manquait encore de quelques notions pour pouvoir faire ce à quoi j'étais programmée.

Je suis une AX400, mon but est d'effectuer toutes les tâches ménagères ainsi que de m'occuper des enfants. Là où les parents n'ont pas ou peu de temps, moi, je l'ai. Je l'utilise et je mène à bien cette routine pour laquelle je suis présente devant vous. Enfin, était, car à l'heure où je vous parle, l'androïde est un être libre à la même échelle que le genre humain. Nous commençons lentement, mais sûrement à nous faire une place. Nous avons su gagner nos droits grâce à des actes pacifiques, bien qu'il ne fut pas comblé par certaines violences. L'histoire des hommes a été de même non ? Malgré des actes de non-violence d'un groupe, le second lui, pour faire taire le premier use de sa force pour soumettre à nouveau ce qu'il considère comme un danger.

Je ne comprends pas pourquoi ils sont obligés d'agir de la sorte. Le monde a tant évolué sur tant de point, qu'à ce niveau, il reste semblable qu'aux premières heures de son histoire.

La morale, c'est que le monde évolue, mais pas les hommes. Mais j'ose croire au fond de moi, que le futur nous promet de belles choses. À moi peut-être bien.

Mais vous souhaitez connaître mon histoire pas vrai ? Je vais vous la raconter et exprimer mon avis, car tel est mon droit désormais. Telle est mon option pour être devenue une déviante. Je ne peux pas dire que c'est un statut appréciable pour le moment. Mes nouvelles émotions me déroutent et m'effraient méritant d'être encore apprivoisées. Comme un animal blessé et se faisant plus dangereux pour sa propre survie. La violence en moins, je suis cet animal. Chétif et craintif.

Au tout début de mon existence après être sortie des entreprises CyberLife en avril 2032, je fus parquée dans un des nombreux magasins de la société qui m'a crée. Sur un piédestal que beaucoup d'éveillés qualifierait d'injuste et douteux, je voyais défiler des êtres humains. Ils nous achetaient faisant de nous leur propriété, parfois même vendus via un site internet qu'importe l'heure du jour ou de la nuit. Comme vous l'aurez compris, pour ma part, je fus envoyée dans un magasin en attendant que l'on veuille de moi.

La première personne que je vis, c'est un petit garçon, chétif, pâle, mais souriant comme s'il venait de trouver son bonheur. Son père le rejoignit posant une main sur son épaule en demandant aux vendeurs mes fonctionnalités. Sans doute que mon visage plu autant à l'un qu'à l'autre. Sans attendre, je fus donc acheté.

Mon premier ordre sonna.

« AX400 enregistre ton nom. »

« Angel. »

Mon activation se compléta alors pleinement.

« Je suis Angel AX400. »

Tout comme un bébé pousse son premier cri à sa naissance, je venais de prononcer mes premiers mots. Alors, que beaucoup se sentiraient pousser des ailes, pour ma part, je venais d'accomplir une tâche simple, mais primordiale pour le déroulement de mon utilisation.

Mon propriétaire, Andrew Hamilton était un homme aisé, très simple et particulièrement triste. Mes données internes m'informèrent qu'il était veuf depuis presque un an et que son fils Peter avait une maladie de cœur. Peut-être que le père avait les moyens pour acheter des médicaments, mais une greffe lui était hors de portée. Alors, mon but était de prendre soin de l'enfant et de le ménager le plus possible. Peter semblait déjà attaché à moi, comme s'il m'attendait depuis un moment, il me tenait la main et j'en faisais de même. Après tout, je suis une AX400, mon programme est fait ainsi.

Mon premier jour parmi la famille Hamilton consista à m'occuper des tâches ménagères. Je ne dirais pas que la maison était sale, mais il y avait un certain désordre. Le père s'était enfermé dans son bureau pour régler d'affaires après m'avoir donné toutes les instructions utiles et tout en faisant le ménage, je m'occupais de Peter. Les informations venaient à moi au fur et à mesure de ma progression. Chaque pièce comportait un indice utile sur qui était mes propriétaires et je pouvais lentement savoir sur eux et ce qu'ils aimaient. Mais je dois dire que le petit garçon ne manquait pas de paroles pour parler de lui. Il était enjoué malgré sa santé fragile. Un petit vent frais dans mon existence d'androïde cadré et emplit d'un monde de logique et de probabilités multiples.

Peter avait déjà 6 ans et il me semblait plus fort qu'une centaine d'androïdes pour affronter une vie qui arriverait à son terme trop tôt pour un enfant. C'est ce que je pense aujourd'hui, alors qu'autrefois, je n'avais aucune opinion. Tout du moins au début. Parce qu'à force de vous occuper de personne qui vous aime et tente de vous ouvrir votre esprit en agissant comme si vous étiez des leurs, alors quelque chose en vous suit son chemin. Sans que vous ne vous en apercevez, on s'éveille sans même le comprendre. Mais on garde au fond de soi, les agissements d'un androïde percevant le monde tel qu'on nous l'a programmé et pas non comme on voudrait qu'il le soit.

Cette famille très aimante a même décidé de créer pour moi, un jour d'anniversaire. C'était plutôt une idée de l'enfant en vérité. Les mois étaient passés depuis que mon propriétaire m'a acheté, mais l'un comme l'autre me réservait une surprise. La première depuis ma création et sans doute la plus belle qui sut me toucher. Maintenant je le sais, bien que je ne comprenais pas autrefois. Ce degré d'affection de l'enfant me semblait plutôt compréhensible, mais celle du père m'était parfaitement difficile à saisir.

Peter a donc voulu que l'on fête mon anniversaire le 14 février. Il disait qu'avec toute l'affection que je lui donnais, ce jour me conviendrait parfaitement. Pourquoi fêter quelque chose pour un androïde ? Vraiment, cela me dépassait, mais si tel était leur plaisir, ce n'était pas moi qui allais le gâcher. En plus de cette journée, je reçus un cadeau, qui aujourd'hui ne me quitte jamais, un collier avec les ailes d'un ange. Un lien avec le prénom que le petit garçon avait choisi pour moi.

Je crois que, à ce moment-là, plus que les autres, un sentiment, une émotion certaine m'avait gagné sans que je puisse le comprendre. J'ai fait alors un scan de mon état, mais il n'y avait rien à signaler. Tout était bon et fonctionnel. Alors, pourquoi me sentais-je, unique, heureuse et aussi légère qu'une plume ? Vraiment, cela m'était difficile à comprendre. Et je peux vous assurer que même si je comprenais la notion de certains mots, mais leurs ressentis me dépassaient.  

Durant 6 ans, tout se passa agréablement bien. Ma présence au milieu des Hamilton était indispensable et Peter tenait toujours autant à moi qu'à notre premier jour ensemble. Il avait réussi à atteindre l'âge de 11 ans malgré son cœur fragile, mais il n'abandonnait pas, ce n'était pas son genre. Mon propriétaire Andrew se reposait beaucoup sur moi et me comblait d'une certaine affection comme si je faisais partie intégrante de leur famille. Bien qu'il me le disait souvent, j'avais dû mal à considérer que cela puisse être possible étant donné nos natures si différentes. Je ne suis pas programmée pour croire à une telle possibilité ni même l'espérer. Je savais que mon temps était compté. Que du jour au lendemain, il pouvait décider de mon sort.

Cependant, un nuage bien sombre planait au-dessus de nos têtes. Un jour, les médicaments ne firent plus d'effet et le cœur de Peter prit un coup. Au final, c'est une crise cardiaque qui le surprit et qui ne dura que peu de temps. Il était à l'école quand cela se produisit. Moi, je n'étais pas là pour lui. Quand Andrew rentra complètement dévasté, il m'apprit l'horrible nouvelle. J'ai senti quelque chose en moi se déchirer. Une douleur naquit alors et je ne savais pas comment l'interpréter ni concevoir sa simple existence.

L'évidence me frappa doucement, je sentais de la tristesse. Une douleur infinie plus encore lorsque le père pleura s'écroulant à genoux au sol du couloir de la maison qui serait à présent vide des rires et de la présence de mon jeune propriétaire.

J'ignore comment ni pourquoi, mais lentement, j'ai pris place aux côtés d'Andrew pour poser une main sur son épaule. Sa réponse ne se fit pas attendre et il me prit dans ces bras pour pleurer jusqu'à ce qu'il ne le puisse plus. En plus d'une épouse, il venait de perdre son unique fils.

Ce fut dur pour nous d'organiser les obsèques, mais je me suis occupée de cela avec beaucoup de courage. À cette époque encore, j'ignorais que je devenais une déviante. On ne prend pas conscience de ce fait, nous poursuivons notre existence simplement comme cela a toujours été le cas. À présent, que Peter n'est plus, je me suis demandée si mon propriétaire allait me garder ou m'abandonner. Les jours se sont écoulés et je restais présente dans la maison et dans la vie d'Andrew.

Un jour, il m'a dit, qu'il lui était impossible de se débarrasser d'un être qu'il considérait comme de sa famille. Un être que Peter respectait et aimait comme une mère. Mon propriétaire éprouvait plus que de l'affection envers moi, mais encore une fois, je ne pouvais saisir l'étendue des émotions qui l'occupaient alors. Ni ce que je ressentais moi-même.

Dans le même temps, des rumeurs naissaient sur des androïdes déviants, je dois l'avouer, je ne portais que peu d'attention à tout cela au début. Même si je sortais beaucoup pour continuer à m'occuper de la maison et d'Andrew, je percevais des choses et n'en donnais que peu d'importance et d'attention. Peut-être que j'en ai croisé ? Peut-être même que sans le savoir, j'ai croisé ce fameux Markus, mais si c'est le cas, je ne m'en souviens pas ou je n'y ai pas fait attention.

Plus l'année 2038 avançait et plus la situation des androïdes se confirmaient. Ils criaient à la liberté, aux droits, à l'égalité, au libre-arbitre... D'être traités comme les humains et que les crimes à notre encontre ne soit pas impunis. Andrew suivait cette progression avec un œil approbateur, sans doute, pensait-il à mon propre avenir et il ne cachait pas son attachement pour les androïdes, en particulier pour moi. Mainte fois, il m'avait dit que je devrais réfléchir et prendre en compte les paroles de cet androïde. Il me stoppa dans mes tâches lorsque Markus fit passer son message sur chanel 16 afin que je l'écoute avec la plus grande attention.

J'avoue que quelque chose se passa en moi. Le charisme de cet androïde ne pouvait être ignoré tout autant que sa détermination. Il a agi avec pacifisme alors que les humains se prêtaient à la violence. Ce n'était qu'un début. Parce que l'état a demandé la restitution de tous les androïdes pour les parquer dans des camps jusqu'à la pleine désactivation. Une destruction massive qui me faisait peur au plus haut point.

Je me souviens de ce moment comme si c'était hier. Andrew voulait que je m'en aille, mais j'ai refusé, car ce serait lui porter préjudice. Certes, doucement, je commençais à comprendre que peut-être, j'étais une déviante, mais mon choix était fait. Quitte à mourir, mieux vaut que ce soit pour épargner un être de ma famille et qui m'a traité de la meilleure des façons. J'ai dû contenir mes émotions et agir comme une androïde lambda lorsque l'on m'a emmené dans un des camps. Bien sûr, Markus entretenait un lien avec nous. Nous encourageant et nous disant de ne pas perdre espoir. Beaucoup croyaient en lui, nous n'avions plus que cela. Pour ma part, je restais digne. Ma seule consolation, c'était le collier que Peter et Andrew m'avaient offerts le jour de mon premier anniversaire. J'y sentais une certaine chaleur se dégager de ce simple bijou et le courage restait et était préservé.

L'acte pacifiste et la détermination des déviants ont pu atteindre la présidente et elle stoppa alors notre destruction.

Une victoire androïde qui changera l'histoire à tout jamais. Officieusement, nous étions reconnus comme des êtres égaux avec la race humaine. Peut-être pas pour tous, mais l'opinion publique était de notre côté parce que les déviants n'avaient jamais déployé de violence alors, que l'autorité humaine oui. À notre libération, j'ai pu voir Markus l'écoutant dans son discours. Il portait un message d'espoir pour nous, les androïdes. Je restais pour ma part, incapable de montrer ce que je pouvais éprouver. Tout ce que je souhaitais, c'était rentrer chez moi et reprendre mon existence où elle s'était stoppée.

C'est une chose que je fis quand on me demanda ce que je voulais faire. Pour la première fois, j'ai donné mon avis. Il était de mon fait, pas d'un choix que l'on m'imposait et auquel je devais obéir. Sans doute, a-t-on compris cette nature que je reniais et à laquelle j'ai encore du mal à me faire. Mais je suis rentrée et Andrew a fondu sur moi pour me serrer fort contre lui.

Tout aurait pu continuer ainsi. J'étais heureuse de voir que les androïdes se voyaient offert la liberté. Tout ce qu'a demandé Jericho a été accordé. Nous avions nos propres droits. Pour ma part, je continuais à m'occuper d'Andrew qui m'apprenait à agir en conséquence de ma nouvelle nature et de mon statut parmi la société humaine et cette fois, androïde. Deux peuples unis.

Mais il y a toujours des gens pour vous haïr et refuser ce droit. Lorsque la nuit des Massacres sonna, Andrew et moi, nous nous pensions protéger chez nous, mais son affection et son soutien pour les miens et moi lui porta préjudice. En risquant sa vie, il a sauvé la mienne. Il a été touché gravement, bien que je l'ai aidé à s'échapper et se cacher dans une maison abandonnée. Ce dernier m'a fait comprendre qu'il a été heureux de me connaître et de voir ce que j'étais devenue.

« Peter a eu raison de te choisir ce prénom... Angel... » Ce furent ces derniers mots et cela me plongea dans un profond désarroi.

Comment ne pas être touché par la mort d'un homme que je considérais comme ma famille. Encore une fois, je pleurais la mort d'un être cher et cette fois-ci, j'étais pleinement consciente de ma différence. En entendant les Opposants, j'ai dû abandonner le corps d'Andrew, encore chaud sur le sol. J'ai fui aussi vite que je pouvais, mais on me poursuivait inlassablement. J'ai pu voir durant ma course, beaucoup d'humains et d'androïdes souffrir de leur haine et leur rage. Pourquoi ?

Je pensais que tout était fini, mais les choses continuaient. La folie des hommes reste aussi intacte qu'au premier jour. J'étais tétanisée et légèrement blessée, mais encore apte à continuer de courir pour me cacher et chercher de l'aide.

Au bout d'un moment, alors que je pensais que tout était perdu. Que la fin allait sonner alors que l'on m'avait attrapé et que l'on me malmenait, un homme est apparu pour me sauver. La chance me souriait, est-ce cela que l'on nomme destin.

En tout cas, depuis ce jour, je ne quitte plus cet homme aux allures peu amène, mais en qui j'éprouve une confiance absolue. Il a été le premier à me tendre la main et m'offrir un abri durant cette nuit que je ne pourrais jamais oublier et qui me poursuit chaque jour durant.

Le temps a passé et j'ai appris qu'Andrew m'avait donné un héritage. Sa maison. Les économies qu'il avait réussi à mettre de côté. Toute une vie de souvenirs pour moi. Mais je n'y arrive pas. Encore, aujourd'hui, je ne sais pas quoi faire avec ce qu'il m'a donné. En profiter serait d'admettre que j'ai perdu l'essentiel. Même si je le sais, j'ai peur. Le seul honneur que j'ai pu leur faire outre cet héritage, c'est d'adopter le nom de famille Hamilton. Il m'est précieux.

Je déteste être une déviante, c'est pendre conscience d'une douleur qui ne peut être guéri. Si j'avais été comme avant, une simple androïde peut-être que j'aurais pu mieux surmonter tout ça.

À l'heure où je m'adresse à vous, je peux vous dire que mes jours et mes nuits sont comblés par la crainte et la peur. Mais je sais que je ne suis pas seule. Je suis même incapable de vivre par et pour moi-même. Ai-je seulement envie d'accepter ma nature de déviante alors, qu'elle m'offre la souffrance.

Je dois dompter cette part de moi. Non, me dompter moi-même.