Vandalisme | Hank Anderson & Jay Winchester

Hank était arrivé au travail en retard, comme chaque jour de la semaine. Ce n’était pourtant pas faute de ne pas s’être réveillé à l’heure cette fois ! Il se trouvait que Sumo n’avait rien trouvé de mieux à faire que de vomir sur ses belles couvertures pendant qu’il prenait sa douche, ce qui l’avait contraint à lancer une lessive, changer les draps et déposer le chien chez le vétérinaire. Le tout avait pris environ deux heures, ce qui expliquait sa tenue vestimentaire peu assortie, débraillée, et pas du tout adaptée à la longue journée qui l’attendait. Par chance, Connor ne travaillait pas cet après-midi et pourrait récupérer le chien. Il avait omis de lui préciser pourquoi Sumo n’allait pas bien, mais il était certain que l’androïde le découvrirait rapidement s’il prenait le temps de jouer dix minutes avec le sac à vomi sur quatre pattes. Chacun son tour.

Comme d’habitude, son bureau était déjà couvert de paperasse à son grand désarroi. L’administration de la BPAP était un enfer. Autant il adorait aller sur le terrain lorsqu’il n’endossait pas sa casquette de lieutenant, autant il avait toujours du mal à gérer cette surcharge de travail supplémentaire. Il ne passait pas un jour sans qu’un problème survienne quelque part dans cette foutue ville qui ne nécessite l’intervention de la nouvelle brigade. A croire que les criminels ne se reposaient jamais. Dans un grognement, il se saisit du premier dossier, tamponné d’un “Urgent” en rouge et en gros sur la couverture.

C’était une retranscription d’appel téléphonique passé vingt minutes plus tôt. Un homme avait signalé un cas de vandalisme sur sa propriété. Il s’apprêta à refermer le dossier en beuglant que le secrétariat s’était encore trompé de bureau lorsque son regard frappa sur la profession de la victime : médecin pour androïdes. Ah. Voilà qui lui semblait déjà plus intéressant. L’échange avait été bref et très peu d’informations avaient été données. Hank lança un coup d’oeil à la grosse horloge sur le mur. En se dépêchant, il y serait en une vingtaine de minutes. Entre remplir la paperasse et enquêter, le choix fut vite fait et il attrapa sa veste sans tarder.

Sa bonne vieille voiture l’attendait devant le commissariat, élément insolite et un brin vintage au milieu de toute cette technologie. Mais eh, elle avait une valeur affective et il ne comptait pas s’en séparer avant qu’elle ne rende l’âme. Et puis elle dépassait sur la place de parking de cet emmerdeur de Gavin et ça l’embêtait, alors pourquoi diantre en changerait-il ? Il perdit dix bonnes minutes supplémentaires à configurer son vieux GPS. Plus personne n’en avait aujourd’hui, ils étaient inclus dans les voitures. Le sien ressemblait d’avantage à un amas de pièces détachées. Le pauvre était en fin de vie et crachait ses poumons à chaque fois qu’il annonçait un nouveau rond point, sans compter les divers détours qu’il lui faisait faire pour rien.

Après près de cinquante laborieuses minutes de route, il arriva enfin à bon port et arrêta la voiture devant la petite maison. Il prit quelques secondes pour vérifier son arme, ajusta sa plaque et saisit le dossier avant d’avancer vers la demeure. Il resta un moment le doigt appuyé sur la sonnette avant de tendre la main dès que la porte s’ouvrit.

“Lieutenant Hank Anderson, brigade de protection des androïdes. Je fais suite à votre appel, c’est moi qui vais m’occuper de votre problème.”

L’homme qui lui ouvrit la porte ne lui parut pas très assuré et plutôt stressé. Il plissa les sourcils. Habituellement; c’était les personnes qui avaient quelque chose à se reprocher qui agissaient de la sorte. Ce n’est pas qu’il le suspectait d’avoir mis son propre laboratoire à sac, c’est plus qu’il trouvait cet élément curieux et le garda en mémoire pour les potentielles suites de l’enquête. On n’est jamais trop prudent.

« Jaiden Winchester. Jay. Hum... C'est dans cette pièce. Je l'ai trouvé dans cet état il y a une heure, environ. L'alarme n'a jamais sonné. Je… je vais vous montrer. »

Hank suivit le jeune homme dans l’habitation, vers la scène de crime. Il s’avança dans la pièce et resta figé sur le seuil. Slogans anti-androïde, matériel brisé, il n’eut pas besoin de jeter un coup d’oeil aux bouteilles de sang bleu pour savoir qu’il en manquait. Ce type d’actes de vandalisme étaient de plus en plus fréquents en ville, chez toutes les personnes qui luttaient de près ou de loin pour venir en aide aux androïdes, ou au contraire pour sauvegarder ceux qui étaient toujours sous contrôle de certains récalcitrants qui allaient parfois jusqu’à les utiliser comme des armes. Hank avait de la chance de n’avoir encore rien eu à ce niveau-là. Sa tête était bien connue des médias, au moins autant que celle de Connor, et il ne doutait pas une seconde que sa maison connaisse le même sort un jour ou l’autre.

Il s’approcha du système d’alarme et suivit les fils du regard. Il s’avança et souleva un câble tranché en deux du bout du stylo, avant de se tourner vers le propriétaire des lieux.

“Le câble de l’alarme a été coupé. Quelqu’un est venu ici récemment sans que vous n’y fassiez attention ? Un client peut-être ?”

Il poursuivit son investigation en évitant soigneusement les morceaux de verre et autres objets renversés au sol. A l’approche du sang bleu, il sortit une petite lampe à UV spécial sang bleu, le dernier bijou de la police, construit à partir du programme de Connor et la pointa vers la sortie. Des traces de pas étaient clairement visibles au sol. Hank les suivit avec précaution jusqu’à la porte, mais étrangement, les empreintes ne prenaient pas la direction de la sortie, mais se poursuivez vers le salon. Hank serra les dents.

“Vous avez entendu du bruit ? Vu quelqu’un agir étrangement dans la rue ? Quelqu’un pourrait vous en vouloir ?”

Le lieutenant se redressa devant le jeune homme et tira une grimace.

“Vous le savez sûrement si vous travaillez dans le milieu, les attaques anti-androïdes sont nombreuses en ce moment. Ce qui est plus rare, ce sont les attaques où le propriétaire est à l’intérieur.”

Hank prit une grande inspiration.

“Je ne voudrais pas vous inquiéter, mais les empreintes ne vont pas vers la sortie. Cela veut dire deux choses : votre voleur est soit sorti par derrière… Soit il est avec nous quelque part dans cette maison. Sans vouloir vous offenser, ça m’étonnerait qu’ils avaient prévu de vous laisser en vie dans l’opération.”

Les procédés utilisés lors du crime étaient tristement connus du lieutenant Anderson. Ils agissaient toujours de la même manière : pas de preuves, pas de traces, pas de bruit, pas de témoin. Depuis quelques temps, Hank soupçonnait la présence de traître dans ses propres locaux. Certaines scènes de crime étaient trop parfaites pour être commises par des amateurs. En revanche, quelqu’un qui avait l’habitude d’étudier la criminologie pouvait très bien simuler, c’était même dans les enseignements des écoles de police. Ce qui l’interloquait ici, c’était les traces de pas. Le sang bleu disparaissait très rapidement de l’oeil humain et des lampes des inspecteurs.

Hank s’accroupit, à bien le regarder, les pas étaient trop resserrés pour être l’oeuvre de quelqu’un s’éloignant en marchant. Les pas couraient, signe que la découverte de la scène de crime avait été prématurée.

« Ma vie sociale est principalement composée d'Androïdes et de Déviants. J'ai toujours soutenu leur cause, alors je ne vois pas pourquoi m'attaquer comme ça. Si quelqu'un m'en voulait, eh bien, il ne me l'a jamais avoué. »

Le lieutenant se redressa et lui adressa un regard compatissant.

“Bienvenue dans mon monde : les hommes n’apprennent jamais de leurs erreurs et sont prêts à tout pour nuire à autrui, surtout s’il a une opinion politique divergente. Même si en apparence tout a l’air calme, des scènes comme ça, j’en vois tous les jours et de plus en plus souvent. Ce n’est pas vous qui êtes visé, ce sont le peuple androïde. Et c’est pour ça que je suis là. Pour que ce genre d’actes n’arrive plus.”

Même lui n’y croyait pas vraiment. Il savait pertinemment que de nouvelles nuits sanglantes auraient lieu dans le futur et de plus en plus souvent jusqu’à ce qu’une guerre civile éclate entre partisans de l’ancien monde et sympathisants de la cause androïde. Il se rassurait néanmoins en se rappelant dès que possible que même s’il été abattu dans l’opération, il se serait battu jusqu’au bout du bon côté de la barrière. Il ne craignait pas la mort, mais il espérait que le jour où ça arriverait, il emporterait avec lui un maximum de ces enflures dans une grande explosion.

Il secoua la tête et se reconcentra sur son enquête. Ce n’était pas le moment de se laisser aller aux pensées noires. Un civil était potentiellement en danger et il se devait de le protéger, comme le code de la police l’exigeait.

« Ça veut dire quoi, qu'il est encore avec nous… ? Je suis en danger… ? »

Bien sûr, cette annonce était toujours un peu brutale. Au moins, le jeune homme avait l’air de prendre la menace au sérieux, ce n’était pas le cas de beaucoup d’autres qui tombaient généralement dans un état de choc hystérique et/ou paranoïaque qui les conduisaient aux urgences.

“On va vite le savoir.”

Il alluma de nouveau la lampe. Le sang bleu commençait déjà à disparaître. Il suivit les empreintes jusque dans le cuisine avant qu’elles ne disparaissent. Une chose était certaine néanmoins, elle ne sortait pas de la maison. Instinctivement, Hank dégaina son arme et vérifia qu’elle était chargée. Il se tourna vers le propriétaire.

“Il y a de fortes chances qu’il pète une durite si je le débusque et qu’il se mette à tirer dans tous les sens. Je vais pas vous obliger à sortir, mais si le suspect devient dangereux, enfermez-vous dans…”

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Un placard s’ouvrit brutalement à sa droite et une personne habillée de noir de la tête aux pieds poussa le lieutenant au sol pour essayer de saisir son arme.