Et si on se mêler de tout ? (avec Francis)

Cela faisait plusieurs semaines que Francis s’était attelé à la chasse de cette enquête. La police n’avait pas eu beaucoup d’intérêt là-dedans, très occupée avec l’organisation terroriste de l’Opposition. Ce qui avait permis au jeune homme d’être libre d’enquêter sans avoir à les éviter. Après avoir discuté avec certains magasins vendant des appareils électroniques contrefaits sans qu’ils ne le sachent, Francis avait réussi à trouver une piste décente sur la provenance de ces stocks. Il s’était donc dirigé vers l’un des anciens entrepôts de Cyberlife, dont les grands containers rendaient le repérage difficile. Ils ne contenaient plus d’androïdes, thirium ou membres à présent, laissés vides et désaffectés. Cela faisait de ce lieu le parfait endroit pour cacher ou pratiquer des choses illégales. Francis avait vu passer quelques sans abris malheureusement réfugiés dans quelques containers vides, pour réussir à survivre la nuit plutôt froide et pluvieuse. Le jeune homme ne voulait définitivement pas en faire partie, et c’était pour cette raison qu’il continua.

Son client était un des mangers de l’un de ces magasins, qui avaient remarqué le problème, mais dont la police n’avait pas semblé trouver beaucoup de piste. Eventuellement, puisque le problème persistait des semaines, il s’était tourné vers Francis, bien trop content de pouvoir se mettre quelque chose sous la dent. Abrupte, impoli, le traitant comme un chien, Monsieur Ridger était un quinquagénaire, un fier millenials comme il s’appelait souvent, Francis n’en ferait définitivement pas un client récurrent. Mais tant qu’il le payait, Ridger pouvait traiter Francis comme bien lui semblait, ce qui importait, c’était de pouvoir suivre ses informations, ses pistes, récupérer des preuves et empocher l’argent qui lui permettait de payer son loyer. Juste quelques photos, histoire de pouvoir donner les preuves à la police, qui récolterait tous les lauriers.

Francis réussit à entrer dans l’entrepôt relativement discrètement, s’infiltrant à l’aide d’une porte restée ouverte. Quelqu’un n’avait pas bien fait son travail de verrouiller toutes les issues, et c’était bien une aubaine. Généralement, le jeune homme devait s’arrêter et attendre que quelqu’un sorte ou fasse une erreur, pour rentrer, ce qui impliquait de nombreuses heures d’attente. Pas ici, heureusement, car la pluie avait tendance à être plutôt désagréable. Au sein de l’entrepôt de trouvait des caisses remplies d’appareils électroniques. Des centaines d’entre elles, éparpillées, qui lui offraient une bonne cachette au cas où quelqu’un ne vienne. Sortant son appareil photo, il commença à récupérer des preuves patiemment, avec une bonne exposition, montrant les divers types d’appareils bien réels, qui avaient été remplacé par des contrefaçons après le vol.

Peut-être aurait-il dû appeler la police avant, car c’est à ce moment-là qu’il entendit quelqu’un chanter, et des personnes parler un peu plus loin, vers l’entrée. Francis se cacha derrière l’une de ces caisses. Sortant son portable (heureusement en silencieux), il envoya un message à Ridger pour lui dire d’appeler la police à l’adresse indiqué s’il voulait son matos, et un énorme ‘DANGER’, avant de remettre son portable dans sa poche. Il n’était définitivement pas quelqu’un sur qui Francis pouvait compter, mais il espérait que l’appât du gain serait suffisant pour le faire réagir. Accroupi près du sol, Francis se pencha sur le côté d’une des caisses pour regarder les personnes présentes. Trois personnes, un homme dégarni, un type avec une cagoule, et une jeune femme. Francis s’approcha du groupe, passant derrière une caisse après l’autre, mais s’arrêta net quand un bout de son appareil photo cogna contre une caisse, produisant un son résonnant dans le reste de l’entrepôt.

La sensation de peur lui refroidi entièrement son corps, et pendant une demi seconde, l’homme espéra que ce soit étouffé un peu par le son de la pluie. Francis se cacha, retenant sa respiration, passant derrière une nouvelle caisse. Les hommes semblaient avoir repérer qu’il y avait quelque chose de suspicieux, et commencèrent à chercher l’intrus. Ce n’était définitivement pas comme Francis aurait préféré que sa journée se passe. Atteignant petit à petit la sortie, son cœur battant à la chamade, il jeta un coup d’œil vers la jeune femme qui n’était définitivement pas là de son plein grès. Il se mordit la lèvre, se demandant ce qu’elle faisait là, avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’une des employés d’un des magasins impliqué dans l’affaire.

Restant caché près de la sortie, Francis fut tiraillé par l’idée ou non de partir. Ce serait l’occasion de pouvoir appeler la police lui-même, et de faire en sorte qu’elle soit sauvée. Cela semblait la bonne chose rationnelle à faire. Mais… Francis n’était pas sûr de pouvoir compter sur la police. De plus, ce n’était pas un androïde d’après ses dires, malgré ses jambes artificielles, et cela attirait beaucoup sa curiosité. Il n’avait pas d’arme, mais il pouvait peut-être faire quelque chose d’intéressant pour l’aider. Francis regarda autour de lui, avant de remarquer l’interrupteur de la lumière de quelques parties de l’entrepôt. Sans se poser plus de question que nécessaire, il se lança vers l’interrupteur, éteignant le tout, les plongeant dans le noir. Pouvait-il faire quelque chose de plus stupide ? Peut-être.

Francis n’attendit pas longtemps avant d’entendre la jeune femme se débattre, possiblement castrer le gorille qui la tenait (incroyable cette femme ?) avant d’atterrir jusqu’à lui, le tout dans une extrême agilité qu’il ne put voir beaucoup. Apparemment, elle savait comment se débrouiller seule, ce qui lui fit regretter (un tout petit peu) de s’être mis en danger pour pouvoir tenter de la sauver. Ses premiers mots à Francis le fit cligner des yeux quelques secondes surpris, avant qu’un type ne commença à leur tirer dessus à l’aide d’une arme à feu dotée d’une lampe torche. Sans réfléchir beaucoup plus, Francis s’élança vers la porte pour sortir de l’entrepôt et sauver sa peau. Il ne regarda pas si l’employée le suivait, mais c’était sans doute ce qu’elle avait fait, et se dirigea vers les nombreux containers vides. La tôle permettait d’avoir assez de protection contre les coups de feu, et leur permettait de se cacher un peu.

Ce qui était plutôt positif, car Francis n’était pas taillé pour courir très longtemps très vite non plus. Sa respiration était déjà haletante, les genoux pliés et les poumons en feu. L’adrénaline de l’attaque lui permettait de ne pas s’écrouler pour le moment, mais cela viendrait un peu plus tard. La pluie continuait de tomber partout autour, couvrant quelques bruits, mais qui finirait par endommager son appareil photo. Les hommes semblaient être en train d’enquêter sur ce qu’il s’était passé, ainsi que d’insulter de tous les côtés les sales fouineurs qui s’était permis de tout ruiner (ce qui était mérité). Lançant un regard à la jeune femme inconnu, Francis comprit sans doute la racine de son agilité et de sa vitesse, puisque ses deux jambes semblaient être de la même matière que ce dont été constitué les androïdes. L’inconnue avait elle-même dit qu’elle n’était pas un androïde, ce qui laissait penser qu’il s’agissait de prothèses.

L’intense sentiment de jalousie ne put s’immiscer dans l’esprit de Francis, alors qu’un nouveau coup de feu retentissait. « Vient ! » Dit-il un peu fort, avant de faire un mouvement de bras pour qu’il la suive, partant derrière d’autres containers. Le jeune homme sembla en trouver un qui n’était pas fermé, il l’ouvrit à la hâte, invitant la jeune femme à y aller avec lui. Une fois les portes refermées, Francis se dirigea à l’aide de son bras sur le mur du container pour se diriger, avant de s’accroupir. La pluie fracassait la tôle assez fort, un bruit apaisant, couvrant leur possible discussion, mais ne permettant pas vraiment de savoir si les criminels étaient proches ou non. Francis haleta un peu plus (décidément pas fait pour la course poursuite), la pluie et la sueur mélangée qui avait complètement trempé ses cheveux. Il s’approcha de la porte pour y mettre l’oreille, tentant de savoir s’ils étaient proches ou non.

« Un container vide au milieu d’un entrepôt désaffecté, j’doute qu’ils arriveront à nous trouver avant la police. » C’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il jeta un regard vers l’obscurité. « De plus, il y a une communauté de sans-abris ici, normalement ils chercheront pas. » Mais juste pour être sûr, il valait mieux rester là un moment. Francis sortit un mouchoir de sa poche pour essuyer son appareil photo dans l’obscurité. Heureusement, il connaissait parfaitement bien l’appareil avec ses doigts, pas besoins d’yeux. « Qu’est-ce que tu faisais là-bas ? » Qu’est-ce qu’une employée d’un des magasins pour qui il enquêtait, faisait dans un endroit aussi dangereux ? « J’espère que tes jambes sont waterproofs, c’est une vraie douche dehors. » Revoilà la jalousie.

La jeune femme qui l’accompagnait à présent semblait chuchoter pour discuter, ce qui, avec la pluie, demandait une concentration conséquente. Francis se concentra sur sa voix pour en discerner les mots, avant de remettre son attention à dehors. « J’ai envoyé un message. Y devraient pas tarder. » Le jeune détective sortit son portable, qui éclaira un peu la pièce lorsque l’écran s’illumina, dévoilant un nouveau message de Ridger. Il disait qu’il s’en était occupé, mais que le détective avait intérêt à bien avoir des preuves concrètes à ramener, s’il voulait être payé. Francis lâcha un soupir agacé et remit son portable dans la poche arrière de son jean, se reconcentrant sur les paroles de la jeune femme. Elle faisait la même chose que lui, apparemment, récupérer des preuves après les avoir traqué jusqu’à leur tanière pour se débarrasser du problème. Ses jambes semblaient présenter un certain avantage pour ce type de mission.

D’un autre côté, tout ce qui était androïde semblait présenter un avantage certain aux yeux de Francis. Cette jeune femme était donc bien une vendeuse dans un des magasins touché par les récents remplacements des produits électroniques. Quand ses questions se tournèrent vers lui, Francis s’éloigna de la porte du container, ses pas résonnant dans la cabine, heureusement sans doute masqué par la pluie. La mention de Spider Man le fit sourire (parce qu’en effet, en y pensant, c’était assez proche), et il lança, blaguant. « Quelque chose comme ça ouais. Sauf que je me suis jamais fait mordre par une araignée radioactive. » Révéler que c’était un détective privé donnait toujours une réaction étrange aux gens, parce que ce n’était pas un job réellement très bien vu. Parfois il était synonyme de fouteur de merde professionnel (Spider Man c'était quand même bien plus positif). En plus de cela, ils étaient tous les deux haïs par les flics.

N’empêche que Spider Man claquait bien plus que M. Il continua un peu. « C’est un managers d’un des magasins qui m’a contacté pour enquêter. Au fait, moi c'est Francis. » Sans pour autant dire le mot ‘détective privé’, de toute façon ce n’était pas très important. Il entendit un nouveau coup de feu en dehors du container, et sursauta légèrement à la détonation. Ils semblaient être toujours en train de chercher et la tension se réimposa au sein de son corps, les muscles bloqués et prêts à courir, son cœur s'accélérant sous l'adrénaline. Avec un peu de chance, la police finirait par arriver promptement. Une partie de lui se demanda si Ridger ne lui avait pas menti, mais encore une fois, il n’avait rien à gagner en le faisant. Pour se changer les idées, il repensa aux jambes androïdes de la jeune femme. Avec intérêt, il dit. « Ça doit être pratique ces jambes-là, ça fait longtemps que tu les as ? »

Pendant quelques secondes Francis s’avoua à lui-même qu’il aurait bien aimé perdre ses jambes dans le passé pour en avoir. Il avait cette drôle de peur de perdre des parties de lui-même. D’un côté, c’était très certainement instinctif, une idée qui venait de l’époque où les humains devaient faire en sorte de conserver leurs membres pour rester en vie. De l’autre côté, l’idée se couper les jambes et les bras pour espérer acquérir des membres androïdes lui donnait une certaine satisfaction. Quel bonheur ce serait de se voir dans le miroir avec. Enfin un peu ‘plus’ lui (le genre de pensée qu’il n’avouerait jamais à voix haute). On le prenait déjà pour un cinglé qui vivait seul, se faisait passer pour un androïde et faisait un job de merde. Rajouter ‘cinglé qui se couperait les membres pour se rapprocher de ce dont il avait la sensation d’être au fond’ n’était pas la publicité qui ferait du bien à son portefeuille.

Francis cru entendre au loin les sirènes de la police arrivant. Il était un peu rassuré, à vrai dire, mais il semblait bon d’attendre encore un peu. Le jeune homme n’était, après tout, pas particulièrement mal accompagné. Il était intéressant de découvrir l’histoire derrière cet amélioration, tout en imaginant s’il avait la chance un jour de s’octroyer les mêmes possibilités. Enfin, ce n’était pas avec un portefeuille aussi vide qu’il pourrait se payer de telles prothèses de toute façon. Ce qui incita à lancer une nouvelle question : « Ça a dû coûter putain de cher non ? » Heureux étaient les richous sur cette planète, ils ne souffraient ni du chômage, ni de la pauvreté, ni du réchauffement climatique (et il en savait quelque chose, Francis travaillait pour eux).

Cela faisait quatre ans qu’elle avait ses prothèses, mais elle avait perdu ses jambes à l’âge de dix ans. Francis se demanda brièvement la raison, mais décida finalement qu’il s’en foutait bien. L’important, c’était qu’elle les avait. Cela avait l’air de lui procurer une habileté plus grande que la moyenne des humains, en plus de gérer les terribles douleurs fantôme dont il avait parfois lu les témoignages. De là où il se tenait, le détective privé avait de mal à savoir quel genre de faiblesse une telle addition pouvait amener. Bien sûr qu’il ne souhaiterait certainement pas se faire remplacer les jambes, les bras, par des prothèses androïdes… (Ou peut-être que si). Peut-être un jour, se dit-il, peut-être un jour il accomplirait cette quête. Cela faisait-il de lui un déséquilibré ? Quelqu’un de fou ? Obsessif, au point d’imaginer à quel point sa vie serait plus agréable s’il en perdait des membres ?

Mais ce n’était pas le moment de se poser ce type de question, ni même d’entretenir ce fantasme éphémère. Il était toujours coincé dans un corps humain, pour le moment, bien mortel et bien susceptible de mourir si des balles venaient à cribler son corps. Jessica (c’était son nom, elle lui avait dit un petit peu avant son monologue interne) était dans la même galère à ce propos-là, car même si elle avait des jambes exceptionnelles, le reste de son corps restait humain, dénué d’algorithmes et de composants remplaçables. Apparemment elle avait été ‘cobaye’ à l’époque, pour recevoir ces jambes. « J'vois. » La jalousie affligea Francis, un couteau lancé en plein ventre, car il aurait tout aussi bien pu les avoir, s’il avait été dans un accident, ou quelque chose qui lui aurait privé l’usage de ses membres (pas besoin d’argent ! Quelle chance).

Les sirènes de la police étaient à présent audible complètement à travers la pluie, sans pour autant massacrer les oreilles comme elles le faisaient si bien quand elles étaient trop proches. Jessica l’appela ‘spidy’, une référence à cette petite blague que Francis apprécia, lui demandant s’ils allaient pouvoir enfin sortir de l’enfer. Le jeune homme ouvrit tout doucement le container, la pluie tombant en trombe toujours dehors, les sirènes rouges et bleues brillant à travers les gouttes au-dessus des containers d’en face. Ils avaient leur petite porte de sortie, là-bas, il leur suffisait simplement de se débrouiller pour les retrouver. Ce n’était pas compliqué, mais sans savoir où étaient les malfrats de tout à l’heure, difficile de savoir si le chemin était sécuritaire ou non. Francis couvrit son appareil photo sous son haut pour éviter de le mouiller outre mesure (ses preuves étaient vraiment importantes pour finir ce mois-ci sans se retrouver à vivre dans le container).

Jetant un regard à Jessica, il pointa vers les lumières, soufflant : « Les flics sont là-bas. » On ne pouvait pas dire que Francis les appréciait beaucoup, et c’était réciproque puisqu’il venait souvent fouiller dans leurs affaires. Cependant, dans ce cas précis, ils étaient un peu la lumière au bout du tunnel, car on ne pouvait pas dire que la perspective de mourir en se faisant tabassé ou tiré dessus avait été très alléchant. Francis n’avait pas fait tout ça pour mourir bêtement en sauvant une fille (comme un conte pour enfant, mais réaliste). « Y’a peu de chances que les autres brutes s’approchent des voitures de police, donc plus on est proche, plus on a de chance d’être en sécurité. » Mais ce n’était pas une excuse pour relâcher son attention.

Amenant sa capuche de son blouson sur sa tête malgré le fait qu’elle soit déjà bien mouillée, Francis sortit du container, les pieds atterrissant dans la flotte dans un petit ploc ! avant de regarder Jessica, un léger sourire. « Prête pour la course ? » C’était une question peu pertinente, puisque Francis était la personne qui avait une grave infériorité physique. Son cœur allait un peu mieux que tout à l’heure, mais son estomac commençait à gronder méchamment, et ses jambes étaient fatiguées d’être resté autant debout toute la journée. Tous ces problèmes ne se poseraient pas en androïde, et c’était difficile de ne pas se mettre à hurler et se frapper la tête sur le container jusqu’à en exploser son cerveau. Son sourire se força pour ne pas laisser passer la grimace, jetant son regard à nouveau vers les lumières.

Il pouvait le faire. Alors, sur le qui-vive, Francis commença à courir, ses pas éclaboussant les alentours dans un bruit mouillé, la pluie s’échouant sur son blouson et son jean, les trempant un peu plus que tout à l’heure. Francis regarda aux alentours, surveillant que Jessica soit bien à ses côtés, et se rassurant sur l’absence des criminels qui voulaient leur peau. Il contourna l’un des containers, regardant vers le ciel pour s’orienter vers les lumières protectrices des gardiens de la paix. Un coup de feu retentit derrière, son sang se glaça, croyant un instant qu’il était mort.

La jeune femme Jessica, contrairement à Francis, aimait courir. Une chance pour elle du coup, contrairement au jeune homme peinant dans la flotte, les pas clapotant dans beaucoup trop de bruit à son goût. La lanière de l’appareil photo lui creusait la nuque, ce n’était définitivement pas fait pour courir, et il pensa brièvement à l’idée de la changer pour la prochaine fois (enfin, il espérait qu’il n’y aurait jamais de prochaine fois). Ils approchaient des voitures de police plus facilement que Francis ne l’aurait espéré, et il se réjouit de se sentir bientôt en sécurité, un soulagement presque. Mais un coup de feu retentit derrière lui, la détonation à quelques mètres, sous la pluie battante, tapant dans les tympans du détective privé. Il crut mourir, sur le coup. Francis fut plaqué en un instant par un policier, (qu’il ne connaissait pas heureusement). Et bordel son appareil photo !

Francis se releva pour se mettre accroupi, ignorant la douleur affligeant ses membres entiers à cause de la course et du plaquage un peu violent. Il fit attention à se pencher pour regarder son appareil photo. Une fortune ! Il se mordit la lèvre inférieure, priant à on ne sait quel divinité inexistante que l’instrument marcherait encore. Ce n’est que lorsque Jessica commença à lui parler, que Francis se rappela qu’il y avait (littéralement !) eu un coup de feu. Elle était blessée. Regardant l’épaule, effleurée par la balle. Ce n’était pas si terrible, comme blessure, mais ça avait ruiné une partie de ses vêtements, et la pluie tombante s’était mélangée aux gouttes de sang. Francis n’avait pas grand-chose pour aider à calmer la plaie. Il regarda dans ses poches pour essayer de récupérer un mouchoir, les coups de feu de la part de la police retentissant. Il avait beau eu un enseignement à la police, la détonation le faisait toujours sursauter. Sortant ses mouchoirs, ceux-ci étaient largement mouillés, presque trempés, ce qui était donc inutilisable. Francis regarda Jessica dans les yeux, inquiet tout de même, « On doit attendre d’être abrités. »

Il marqua une pause, tremblant sous la flotte à cause du froid, de l’anxiété, des coups de feu qui lui donnaient envie de se cacher sous la voiture, de cette petite voix qui lui rappelait que c’était un androïde. Les androïdes d’avant faisaient ce qu’ils avaient à faire, sans jamais se préoccuper d’avoir froid, d’être anxieux. Accomplir les ordres sans état d’âme. Francis cligna des yeux, il aurait tout donné pour avoir sa LED. Il continua, un peu plus platement « Tu as mal ? C’est une égratignure. » Il saisit la main de la femme pour lui donner un mouchoir humide, plaçant cette même main sur l’égratignure, appuyant un peu. « C’est tout ce que j’ai. » Et il regarda à travers la fenêtre d’une des voitures de police pour voir la fin des tirs, et finalement, l’arrestation des malfrats.

…

L’ambulance arriva finalement, pour peu de choses, étant donné qu’il n’y avait eu qu’un policier blessé légèrement, et Jessica. Francis eut le droit à une superbe couverture de survie jaune réfléchissante. La pluie s’était arrêtée pour le moment, et il s’était posé tranquillement sur le bord de l’ambulance. Un policier prit son témoignage des faits, il parla des photos, de Jessica qu’il avait sauvé, de Monsieur Ridger (qui était bien l’homme qui les avait appelé). Attendant le retour de Jessica qui était prise en charge, Francis regarda son appareil photo, le scrutant pour regarder si tout était bien en place. Il y avait toujours les photos, et l’appareil n’avait été abimé que sur un coin de l’appareil, ce qui ne gênait ni pour la prise en main, ni pour la prise de photo. Un soulagement. Francis prit quelques photos pour être sûr, le flash éblouissant les quelques policiers. Il prit un infirmier travaillant sur Jessica aussi, faisant passer le temps. Le temps avant l'ambulance était un peu flou, mais il avait l'impression d'être un peu plus lui-même à présent.

Décidément bien que Francis soit celui qui fut appelé ‘spider-man’, c’était bien Jessica qui était surhumaine avec ses diverses capacités physiques, et le fait qu’elle ne ressentait pas la douleur. Cela devait être assez pratique, notamment dans ce genre de cas. Il était tout de même bien content que ce ne soit pas lui qui se soit fait tiré dessus, puisqu’il n’avait pas ce super pouvoir. Cela la rendait d’autant moins humaine et d’autant plus androïde, mais comme les humains, Jessica saignait rouge sombre sous le torrent de pluie, le mouchoir trempé de rouge et d’eau. Francis était clairement loin de la condition de Jessica, et cela lui créait ce vide béant à l’intérieur de lui. Ce désir de remplacer chacun de ses membres, chacune des parcelles de son corps, chaque cellule, pour un composant biomécanique approprié. Il espérait qu’un jour un accident lui arrive pour échanger ces parties de lui. Il savait que si l’opportunité se proposait à lui, Francis ne serait pas capable de faire le bon choix, à cause du regard des autres. (Un fou, c’est un fou).

Prendre des photos était aussi un moyen de se mettre en service pour quelque chose. Ce n’était pas vraiment intéressant car son job ne le demandait pas, mais il avait un appareil dans les mains, et un appareil photo était là pour photographier. Jessica s’était rapprochée de lui après le flash, sans doute car le bandage de ses blessures était bientôt terminé. Elle lui demanda si ceux qui avaient été arrêtés finiraient en prison, et Francis ne savait pas. Le système juridique de Detroit était meilleur depuis l’apparition des androïdes, mais qui sait quel genre de défense ils mettraient en avant. (Ces gens-là étaient préparés à tout). Mais Francis n’était pas de nature optimiste pour ce genre de chose. « Meh, j’sais pas… Ce genre de type a toujours un tour dans leur sac. » Voyant sa mine un peu déçue, il continua, « M’enfin c’est sûr qu’ils ne feront plus ce genre de coup avant un moment. »

Il y avait toujours la possibilité de représailles, mais c’était peu probable, cela leur couterait définitivement leur liberté dans le futur. Ils devaient le savoir, et Francis espérait qu’ils n’étaient pas trop stupide pour oser essayer s’attaquer à Jessica ou lui. Elle lui dit d’investir dans une plus grosse protection d’appareil photo, ce à quoi Francis s’esclaffa « Pff ! Faudrait de l’argent pour ça ! » Et elle semblait très intéressée par son job. Ses qualités en tant qu’humaine modifiée seraient intéressantes pour Francis, et il reposa son appareil sur son torse, croisant les bras. « Souvent c’est plutôt de longues heures d’attentes au coin d’une rue pour avoir le shot que madame Reyman a demandé à cause d’une suspicion de tromperie de son mari. Rien de bien extravagant donc… »

Cela finissait très souvent par être effectivement une histoire de tromperie. Francis appréciait voir les riches se tirer dans les pattes et d’être suspicieux entre eux, il aimait aussi participer à leur destruction de leur famille. Un petit plaisir malsain, médiocre, à l’image de sa paie et de sa vie générale. Jessica était mieux que ça, et méritait très certainement mieux que cela. « Il me semble que tu as déjà un job, Jessica, non ? » Et puis, elle était humaine, malgré ses qualités extraordinaires, elle finirait par se lasser de Francis, de ce job, (de cette vie). Il se frotta les yeux avec les doigts, sentant la fatigue de la soirée lui peser sur le dos, l’anxiété évaporée de la journée qui laissait place à la fatigue et aux yeux piquants.

« Ce que je veux dire c’est que, c’est vraiment pas le rêve. » Il baissa le ton un peu, les forces de l’ordre toujours un peu autour. « Je fais ça parce que j’ai pas de talent et que j’suis un policier raté. » Francis haussa les épaules, le ton déprécié allant bien avec la chute de l’adrénaline, le retour de la fatigue, la lassitude. Il poussa un soupir, ramenant ses cheveux encore humide en arrière. Il allait manger ce soir, c’était un point positif ! Tout de même… « T’as besoin que je te raccompagne ? »

Apparemment il semblait à Jessica d’une importance cruciale que ces gens se retrouvent en prison. Francis n’avait pas vraiment d’avis à ce sujet-là, après tout, il n’aurait plus de travail si tous les hors la loi finissaient en prison. En y réfléchissant, c’était peut-être aussi à cause de ce mindset qu’il n’avait pas pu devenir flic (mais bon, il n’avait jamais été bon à autre chose que fouiner donc…). En tout cas, malgré la frayeur de la soirée (et il ne préférait pas y penser pour le moment, il attendrait d’être chez lui pour se mettre à trembler), il n’avait pas spécialement de vendetta contre les hommes en question. Ils avaient fait ce qu’ils avaient dû faire, pour leurs propres raisons. Francis n’était pas persuadé que la prison, ou quoi que ce soit vraiment, pourrait changer les futures actions de qui que ce soit.

Qu’ils aillent en prison ou pas, ce qui comptait réellement, c’était que Francis soit payé à la fin. Jessica se proposait d’offrir une protection plus efficace pour l’appareil photo de son interlocuteur, mais celui-ci était loin d’être convaincu qu’elle irait jusqu’au bout pour cela (les humains disaient tout un tas de choses qu’ils ne pensaient jamais vraiment). Il fit un mouvement de main pour lui signifier qu’elle n’avait pas à le faire, soufflant un « T’embête pas. » Après la description (honnête) de la majorité des jobs de Francis, Jessica semblait un peu embêtée, mais elle s’ennuyait effectivement dans son job. D’un autre côté, elle avait la chance que ce fût stable. Il sourit amusé à l’utilisation de ‘Madame Choucroute’ qu’il voir dans sa tête comme une femme âgée avec un énorme chapeau sur la tête, perdue face à la technologie pourtant déjà existante à son époque.

Car si les gens disaient des choses qu’ils ne pensaient pas, ils oubliaient aussi très facilement ce qu’ils savaient. Après l’énonciation que Francis était un policier raté, la jeune femme tenta de booster son égo, ou quelque chose comme ça. Il fit semblant d’adhérer, d’un hochement de tête (en général cela marchait pour arrêter ce type de compliments). Elle lui proposa d’aller manger quelque chose, et à la surprise de Francis, la seule chose qu’il parvint à dire fut « Avec moi ? » Quelle étrange situation. Mais il n’avait pas faim, et quand l’homme mal dans sa peau se frotta les yeux, il se rendit compte qu’il était surtout épuisé. C’était ce type de sentiment, après une journée à avoir parlé, où les interactions sociales devenaient de plus en plus pesantes. « Désolé Jessica… » Francis regarda autour de lui, les couleurs flash des voitures de polices, les hommes en bleus regardant le périmètre, les criminels à l’intérieur des voitures, l’ambulance…

C’était un peu trop pour aujourd’hui. Ses yeux revinrent vers la femme, haussant les épaules. « J’ai encore du boulot ce soir. » Ce qui était vrai, il devait donner les photos à Ridger, et ensuite se vautrer dans son appartement pourri en décompressant méchamment de ces moments de stress où il avait cru mourir, ou simplement se persuadé d’être une machine. Après tout, les machines n’avaient pas peur. Il baissa les yeux sur son appareil photo, mettant la main dans sa poche pour récupérer un petit porte-monnaie en cuir, dans lequel se trouvaient quelques rares cartes. Il en saisit une, avant de la tendre à Jessica. Une carte de visite, sobre, pliée dans deux coins, fragile, blanche écrite en noire avec écrit ‘M’ (son pseudonyme) et son numéro. « Un autre jour cependant, peut-être ? » Il espéra que son sourire parut content, mais la fatigue commençait à tirer largement sur ses traits.