« I don’t have the energy to pretend to like you today. »

« Salut Ricc, c'est moi. Je sais que tu détestes les messages vocaux mais là je n'ai pas le choix donc tais-toi et écoute jusqu'au bout. Et je te jure que je ne suis pas sous Red Ice, ok? Et t'as intérêt à ne pas l'être lorsque t'écoutes ce message donc si c'est le cas, fais pause dès maintenant et reviens quand t'es clean.

C'est bon? Ok, alors je voulais juste te dire que je pars demain, donc je ne pourrai pas dealer pour toi aux heures qu'on avait prévues. En fait, je ne pourrai plus dealer pour toi du tout...Ouais c'est super soudain, déso, mais je n'ai pas le choix. T'énerve pas, ok, je vais tout te dire cette-fois. Tu ne pourras plus me reprocher d'être une cachottière après ça. J'ai mes raisons.

Alors pour commencer, je suis née le 1e avril 2015. La bonne blague hein? Ouais, j'ai menti sur mon âge. T'aurais engagé une petite gamine de 14 ans pour faire ton job, toi? Bref, j'ai atterri dans une famille hyper catho. Tu vois le genre, messe tous les dimanches, cours de catéchisme, écoles catholiques blablabla la totale, quoi. C'étaient des années de vide et de pur ennui, tu ne peux pas t'en rendre compte. J'avais le sentiment de n'appartenir à rien du tout, j'errais tout simplement au milieu de terrains inconnus, entourée d'inconnus...Je priais (lol façon de parler parce que je n'ai jamais prié de ma vie) que quelque chose...ou quelqu'un, me fasse sortir de là. Je savais que j'avais la possibilité de voir autre chose et que la vie était différente de ce que je vivais. Et voilà que tu entres en jeu! Toi, le mec qui rôdait autour de l'église le dimanche. Aujourd'hui, je sais que c'était pour vendre tes conneries mais à l'époque, naïve comme j'étais, je me demandais pourquoi tu étais là. Tu te rappelles, tu m'as interpelée,  "hey, t'aurais du feu?". Du feu? Je me posais tellement de questions. Quelle imbécile!
Les semaines ont passé et nous sommes devenus plus que de simples connaissances. Tu m'as présentée à ton groupe de bad boys et c'est là où ma vie a changé...Ou plutôt, a commencé. Parce que je ne me suis jamais sentie aussi vivante auparavant. Tu m'as montré tout ce qui est de plus palpitant, tu m'as rendue libre. Soudainement, je disais à mes parents que j'avais catéchisme tous les jours afin de venir vous voir. Ils semblaient heureux, et je l'étais aussi...jusqu'au jour où j'ai merdé. Je suis rentrée à la maison en oubliant de te rendre le surplus de Red Ice non vendu, défoncée comme jamais. Ca non plus, je ne te l'avais jamais dit. Je me suis fait battre comme du bétail par mon père. Ma mère, quant à elle, pleurait à chaudes larmes dans un coin, sa croix en main. J'étais satan incarné pour eux. "Tu n'as jamais été normale! Jamais!" me disait-il après l'énième coup de ceinture. "Espèce de démon!".

Je n'ai jamais parlé de cet épisode à personne. La vie continuait, comme toujours. Je venais encore vous voir, même si c'était moins souvent qu'avant. Tu ne me posait jamais de questions, simplement des "on ne voit plus trop ton beau visage ici!". Ce que je vais dire pue donc prépare-toi...mais...vous me manquiez énormément.

Un beau jour, je suis rentrée du lycée et j'ai découvert mes parents dans de sérieuses réflexions. Depuis ce malheureux jour, ils ne m'adressaient la parole que pour des fins pratiques, rien d'autre. Après, je n'allais pas m'en plaindre. A mes yeux, ils n'ont toujours été que de parfaits inconnus, de toute manière. J'étais en train de me préparer un goûter lorsque j'ai entendu ma mère pleurer. "C'était une erreur..." disait-elle entre deux sanglots. "C'est de ma faute...". Je ne comprenais pas. "C'était de notre faute, Suzan. Mais nous pouvons régler ça et repentir de nos péchés. Le Seigneur nous pardonnera." Je me suis retournée pour les regarder discrètement: un magazine d'androïdes était ouvert devant eux. "Je veux simplement prouver que je suis une bonne mère. Que j'ai su éduquer mon enfant..." Mes pensées n'ont fait qu'un tour. Je ne voulais pas savoir. Je ne voulais rien savoir. Je souhaitais n'avoir pas compris. Je suis sortie de la maison en disant que j'avais oublié quelque chose au lycée. A quoi bon, ils n'ont certainement pas remarqué ma présence, de toute façon. J'ai couru comme si j'étais poursuivie. J'ai couru, longtemps, trop longtemps, sans but. Sans le savoir, je me suis retrouvée devant notre QG. A ce moment-là, je me suis sentie apaisée. Nous avions encore fait la fête pour aucune raison, et j'étais satisfaite avec ça. Je ne me rappelle de rien du tout, à part m'être réveillée à la maison avec des marques de brûlures sur mon corps.

Le jour de mon "18e" anniversaire est arrivé quelques jours après cet évènement (je vais t'épargner toute réflexion qui pourrait te tuer: c'était mon 15e anniversaire, en réalité). Vous m'aviez fait la meilleure teuf de ma vie. Juré. Vu la quantité d'alcool et de Red Ice qui passait dans mon système, je ne me rappelle pas de tous les détails mais les émotions restent. Bon, je t'avoue que c'était pas trop fun de découvrir le lendemain un tatouage sur mon majeur..."F*ck Androids"? J'aurais pu m'en passer. Enfin, c'est mieux que de se réveiller avec des parties cramées.

Ah, au final, mes parents se sont dégonflés à prendre un gosse androïde. Non pas parce qu'ils se sont rendus compte de leur connerie, loin de là. C'était simplement un problème financier car je leur coûtait déjà trop cher. Je te passe les détails sur l'ambiance à la maison et la nouvelle activité favorite de mon père pour se décharger un peu de sa vie de merde de parfait catho. Ca en devenait tellement grave que tu commençais même à te poser des questions. "Je suis tombée d'un arbre après avoir trop fumé", "je me suis brûlée en faisant la cuisine", etc etc, les excuses ne manquaient pas. Et dieu merci, tu n'as jamais creusé plus loin.

Peu de temps après, j'ai quitté l'école. Je n'en pouvais plus. Et puis, mes parents n'allaient pas se plaindre. J'étais déjà une cause perdue et ça leur enlèverait un poids financier. J'ai commencé à travailler dans ton bar de striptease préféré, tout en continuant à bosser pour toi, ça tu sais. J'y ai d'ailleurs appris beaucoup et je ne faisais plus seulement le service au bar, mais je dansais aussi quand ils étaient en manque de filles. Avec tout ça, j'ai pu me prendre une petite chambre minable dans un quartier minable mais au moins je me suis enlevée de cet environnement toxique dans lequel je vivais.

Depuis, quelques années sont passées et je n'ai eu aucune nouvelles de mes parents...jusqu'il y a une semaine ou deux. Je ne sais pas pourquoi, mais je passais dans le quartier et j'ai vu au loin une personne qui me ressemblait comme deux gouttes d'eau...entrant dans la maison de mes parents. Non, ce n'était pas une infraction. Elle y rentrait vraiment comme si elle était chez elle. Et c'est là que j'ai compris...Ils l'ont fait, finalement. S'ils ont réussi à tourner la page, pourquoi pas moi?

Mais j'ai merdé (encore). Me juge pas, ok?...j'ai été lui parler. A l'androïde. Elle avait le même visage, le même prénom que moi. C'était effrayant. Les gens sont vraiment tarés dans ce monde. Mais j'avais décidé de sympathiser avec elle à ce moment-là, ne me demande pas pourquoi. Après quelques temps, elle s'est liée d'amitié avec moi. Tandis qu'elle, elle me dégoutait (elle me dégoûte toujours, d'ailleurs). Elle me disait qu'elle avait les meilleurs parents du monde blablabla que des conneries. Des illusions. J'étais devenue tellement folle je lui ai dit tout ce que ces soi-disant "parents" m'ont fait, je lui ai tout montré. Je lui ai dit qu'ils n'avaient aucun sentiment pour elle et qu'elle n'était que le remplacement d'un échec. Tu sais ce qu'elle m'a répondue? "Non, je ne suis pas un remplacement. Je suis la mémoire de leur fille bien-aimée, morte d'un accident." Je n'en croyais pas mes oreilles. Mes parents m'ont donc fait passer pour morte. Donc ils avaient tellement honte de moi que ça? Je ne savais plus quoi faire, ni penser. Je pense que je suis partie avant que ça déraille et que je brûle la maison et l'androïde avec.

Et nous revoilà au présent. Avec tout ce qu'il se passe avec les androïdes en ce moment, je pense qu'elle va se faire détruire dans les camps qui sont un peu partout dans le pays. Bon débarras! Quant à moi, j'ai décidé de partir pour de bon. Il est temps de tourner la page, Ricc et c'est pour ça que je suis en train d'enregistrer ce message long comme la Bible et que tu es sûrement en train de m'insulter de tous les noms. J'espère que tu ne m'en veux pas. Je ne sais pas vraiment où aller, j'ai cru comprendre qu'une connaissance d'une connaissance d'une connaissance pouvait m'héberger pour quelque temps à Detroit (quelle ironie! L'origine même de ces satanés robots! Et c'est moi le démon, ici?). Je ne connais pas trop la combine mais on va tenter le coup. Je n'ai pas le choix, de toute façon. La vraie vie m'attend! Mon bus devrait partir dans quelques heures. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Toi et les autres gars étaient ma vraie famille. Tu leur diras pardon de ma part. Peace!

Ah oui, et ne cherche pas à me contacter. Je tiens à laisser mon passé ici. Par contre, j'ai pris tout ce qu'il te restait de Red Ice et un peu de cash. Bisouuuuus!

Signé Rose-Marie McKinsley, la seule et l'unique! »

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"Bonjour et bienvenue dans le bus MI3278 en direction de Detroit, Michigan. Puis-je avoir votre nom et carte d'identité, s'il-vous-plaît?"

"Bien sûr. Athena Rose Winslow, comme la déesse de la guerre."