[Meredith S.] "The future is the home of our deepest fears and our wildest hopes."

Les premiers modèles AX400 sont sortis en 2032, des modèles conçus pour servir d'assistant personnel et d'aide ménagère. Et probablement un des modèle les moins chers fabriqués par CyberLife. Alors, forcément, j'ai rapidement été vendue après avoir quitté les usines de conception, en octobre 2032. J'ai été offerte à une vieille dame, Carla Stryder, par ses trois enfants, parce qu'elle ne souhaitait pas aller en maison de retraite et qu'elle n'était plus vraiment capable de s'occuper de sa demeure toute seule. Ses enfants avaient accepté à condition qu'elle prenne une aide, un androïde, moi-même.

Je n'ai pas eu de quoi me plaindre, elle était gentille et j'étais bien traitée. J'avais réellement une vie belle et agréable avec elle. J'avais l'impression qu'elle me considérait davantage comme une troisième fille plutôt que comme une assistante, ou comme une machine. C'est drôle, je ne m'en rendais pas compte à l'époque, mais j'étais heureuse. Elle était rapidement devenue comme une mère à mes yeux. Peu d'androïdes avaient la chance d'avoir un propriétaire qui les traitait aussi bien. Malheureusement Carla est décédée quelques années plus tard, sa maison fût vendue et moi, eh bien, ses enfants ne savaient pas quoi faire de moi. C'est sa fille aînée qui m'a prise chez elle, prétextant avoir besoin d'aide pour entretenir sa maison et s'occuper de ses enfants.

Et ma nouvelle propriétaire ne me traitait pas aussi bien que sa mère le faisait. Elle me voyait clairement comme une machine, rien de plus et me traitait comme tel. Au moins, il y avait sa fille de onze ans, Amy, qui semblait réellement tenir à moi. Je me demande même si sa mère n'était pas jalouse parfois. Parce que j'étais devenue rapidement très proche de la fillette. Quant à son fils, Aaron, âgé de dix-sept ans, on ne peut pas dire qu'il m'appréciait. Bien au contraire, l'adolescent était visiblement hostile à ma présence et me le faisait comprendre dès qu'il en avait l'occasion. Et n'hésitant pas à me malmener pour impressionner ses copains. Ce n'était pas faute, d'essayer de bien faire, mais ce n'était jamais assez bien. Ce n'était pas juste, mais il fallait que je le supporte, ce n'est pas comme si j'avais d'autres options.

Seulement voilà qu'un jour il allait trop loin, il est rentré du lycée très énervé. Et je suppose que sa consommation de Red Ice n'a rien arrangé. Je passe les détails, mais j'ai fini dans un sale état. Sa mère a dû me conduire dans un magasin CyberLife pour que je sois réparée. Et je suis revenue à la maison un peu moins de deux semaines plus tard. A ce moment-là, elle avait décidé de me vendre, jugeant que ma présence avait une mauvaise influence sur son fils. Amy n'avait aucune envie que je parte, mais ses pleurs n'ont pas convaincu sa mère. Elle m'a formatée et m'a vendue une semaine plus tard. J'ai atterri dans une nouvelle maison, un couple aisé, qui possédaient déjà un androïde pour s'occuper du jardin et de l'entretiens extérieur de la maison.

Au début, cela ne se passait pas si mal, même si le mari avait clairement des problèmes de gestion de la colère. Cela n'allait cependant pas plus loin que quelques bousculades. J'ai fini par apprendre grâce à Jared, l'autre androïde, que mon prédécesseur avait été détruit. C'est étrange, moi qui n'étais pas censée ressentir la moindre émotion, la peur s'est rapidement installée. Et les souvenirs de mon ancienne vie ont fini par lentement refaire surface. Au fur et à mesure que la situation empirait. Le pire a fini par arriver, fou de rage, il a commencé à s'en prendre à moi. Cette fois je le savais, c'était lui ou moi. Je ne devais pas me défendre, il était mon propriétaire. Pourtant, quelque chose à changer, j'ai eu l'impression d'ouvrir les yeux pour la première fois. Je me suis défendue, j'ai fini par le repousser, provoquant involontairement sa chute dans les escaliers. Et j'ai paniqué quand je l'ai vu étendu sur le sol, inconscient ou peut-être même mort. Je n'ai pas été capable de vérifier. Je suis allée chercher Jared et nous avons fuit ensemble.

Pour la première fois de ma vie, il n'y avait plus personne pour me donner d'ordres. On était perdus, on ne savait pas quoi faire, ni où aller. C'est un autre androïde qui nous a parlé de Jericho, disant que là-bas nous serions libre. Il nous a donné les énigmes qui nous ont menés sur le cargo. Et nous étions loin d'être les seuls à avoir pris la fuite. Nous sommes restés cachés à Jericho, avec les autres, pendant des jours. Surveillant les informations qui parlaient de la situation, de la révolution androïde. Jusqu'au jour où ils annonçaient la création de centre de rappels, des camps, où les androïdes devaient être ramenés pour être détruits. Et ce malgré le fait que l'opinion publique était favorable à notre cause. Jared voulait agir, ne pas les laisser massacrer notre peuple, mais on ne pouvait rien faire.

Finalement Jericho a été pris d'assaut un soir, les soldats étaient partout. C'était le chaos, la panique. Il fallait s'enfuir et ce n'était pas chose facile, mais nous n'avions pas d'autre choix. Fuir, ou mourir. On a fini par atteindre une sortie, mais les soldats nous attendaient déjà dehors. Ils ont tiré sur nous, Jared s'est écroulé, touché à la jambe et je me suis interposée entre lui et le tireur, disant qu'on allait se rendre, de ne plus tirer. Quelques androïdes se sont rendus aussi, les autres ont été abattus. J'espérais que d'autres avaient pu s'enfuir, par un autre accès. Et ils nous ont fait montrer dans un camion, sans nous dire ce qu'ils allaient faire de nous, ou où ils nous emmenaient. On était une quinzaine à avoir été embarqués. Je n'étais guère rassurée d'entendre que je n'étais pas la seule à me demander où ils nous emmenaient. Tout le monde communiquait par télépathie, trop effrayés pour oser parler à voix haute. Jared me serrait dans ses bras, alors qu'on priait pour que rA9 vienne nous sauver.

Durant le trajet, Jared a tenté le tout pour le tout, voulant absolument nous libérer. Il est parvenu à ouvrir la porte arrière, mais le camion s'est rapidement arrêté en remarquant que son chargement prenait la fuite... On s'est tous plus ou moins dispersés, je me suis retrouvée avec Jared, un soldat nous suivait de près. Il a tiré, droit sur nous. La pompe à thirium, son coeur, était touché. Gravement endommagé, il ne lui restait que quelques minutes avant que la désactivation ne l'emporte. Mon coeur était compatible, j'aurais voulu pouvoir lui donner. Malheureusement le soldat nous a rattrapés, tirant une nouvelle fois et cette fois-là, Jared ne s'en relèverait pas. Il est mort dans mes bras, puis le soldat m'a écartée, tirée de force loin de lui. L'abandonnant dans la neige, là où il s'était effondré. Quelques autres ont également été rattrapés, d'autres avaient visiblement réussi à fuir. Le sacrifice de Jared n'avait pas été vain. C'était la seule consolation qu'il me restait. Ils nous ont fait remonter dans le camion et nous avons repris la route.

Le trajet a duré un quart d'heure, cela a été le quart d'heure le plus long de toute ma vie, le temps ayant paru décuplé par l'angoisse. Lorsque nous sommes finalement arrivés à destination, ils nous ont fait sortir du camion, puis nous ont alignés, les mains sur la tête. On a pu voir avec horreur qu'on se trouvait dans un de ces fameux centre de rappel. Un à un, ils nous ont fait avancer vers une tente, personne n'a tenté de fuir, tout le monde s'est contenté d'obéir. J'étais l'avant dernière à devoir m'avancer vers la tente. Je suis restée pétrifiée sur place, incapable de bouger. Terrifiée par ce qui nous attendait. Un avertissement, pas deux. Le soldat s'est avancé et m'a frappée avec son arme, le choc m'a fait perdre l'équilibre. Je me suis péniblement relevée et finalement je me suis rendue dans cette tente.

Deux soldats attendaient, donnaient les ordres à suivre. Des ordres que je n'avais aucune envie de suivre. Nous devions désactiver nos peaux, avant de nous déshabiller et de jeter nos vêtements dans la benne. Deux autres androïdes étaient présents, tout aussi réticents que moi, chaque geste était fait avec une lenteur délibérée. J'ai désactivé ma peau, regardant lentement celle-ci se rétracter jusqu'à disparaitre complètement. Nul doute que c'était la mort qui nous attendait dehors. Dehors, des androïdes criaient, pleuraient, imploraient pour leur vie et personne ne les écoutait. Des coups de feu retentissaient parfois, nous laissant deviné que ceux qui ne se lassaient pas faire étaient simplement abattus. Et il n'y avait aucun moyen d'y échapper. Alors, j'ai baissé les bras, j'ai accepté mon sort. J'acceptais la mort qui me tendait les bras. Si les histoires sont vraies, si j'avais de la chance, si j'étais réellement vivante, l'au-delà existait et Jared m'attendait de l'autre côté du chemin. Autant mourir vite d'une mort rapide plutôt que de prendre le risque d'une agonie en énervant nos bourreaux. J'ai retiré mes vêtements, machinalement, les jetant dans la benne sans y accorder un regard. L'espoir m'avait abandonnée. Je n'avais plus la force de me battre, je ne voulais plus, j'admettais qu'ils avaient gagné.

Je fixais un point invisible devant moi, toute volonté ayant disparue. Acceptant le sort qui m'était réservé. Jusqu'à sentir une veste se poser sur mes épaules. Une veste accompagnée de deux mots, un ordre plus doux que les autres. Surprise, confusion. Naturellement je me tournais vers la source, vers un des deux soldats qui gardaient l'endroit. Le second est rapidement intervenu, demandant ce que son collègue fabriquait. Il n'aura eu pour réponse qu'un coup de taser qui le fera s'évanouir en quelques instants. Regard confus et surpris vers les deux androïdes présents avec moi dans cette galère. Qu'est-ce qu'il venait de se passer ? On s'est regardé tous les quatre, on semblait tous aussi perdus les uns que les autres. Comme si le militaire lui-même ne savait pas ce qu'il faisait. Il s'est approché, puis j'ai vu l'éclat de la lame, je n'ai pas bougé. Mourir ici ou mourir ailleurs, quelle importance ? Une main posée sur mon visage, pour me tenir tranquille pendant qu'il arrachait la diode sur ma tempe. Surprise, espoir. Les deux autres androïdes n'avaient plus leur diode, l'humain nous demanda de réactiver nos peaux, ajoutant que l'on s'en va. On a pas posé de questions. Il nous offrait une chance, il voulait nous sauver... Il risquait tout pour nous.

Nous avons tous les trois réactiver notre peau en piochant des vêtements au hasard pour nous rhabillé, gardant pour ma part la veste qu'il m'avait confiée. En nous offrant la liberté, ne venait-il pas de condamné la sienne ? Nous l'avons suivi, sans rien dire. Je me demandais comment on allait réussir à partir d'ici, il y avait des gardes partout. Il n'a pas fallu longtemps avant qu'un garde pose des questions. Nous avons regardé notre sauveur, en imaginant sans doute qu'il avait toutes les solutions miracles pour nous sortir de là. Une erreur, voilà l'explication qu'il avait trouvée, il disait que nous étions humains, qu'il avait vérifié. Nous accusant d'être des journalistes prêts à tout pour avoir un scoop. Nous avons joué le jeu, prenant une mine un peu honteuse, des enfants pris la main de le sac en train de faire une action interdite. Le soldat l'avait cru sur parole et nous laissait passer. J'ai eu du mal à ne pas me retourner, pour vérifier que c'était bien vrai. Et une fois dehors l'alarme s'est rapidement déclenchée. Cela aurait été trop beau de pouvoir partir aussi facilement... Ma main agripée, il nous entraînait dans une course contre la montre pour échapper à nos poursuivants.

La fuite fut longue et compliquée. Il y avait des soldats dans toute la ville, dès qu'on se pensait un peu en sécurité on se faisait repérer et la course recommençait. Ils avaient certainement dû avertir tout le monde de notre fuite. Nous avons pu nous éloigner un peu de la ville, jusqu'à rejoindre une rivière. On a reçu un nouvel ordre, sauter, dans l'eau glacée. Cette fois il y a eu de vives protestations. En tant qu'androïde, l'eau pratiquement gelée ce n'était déjà pas bon du tout. A une telle température je risquais de littéralement geler. Ce n'était pas très difficile d'imaginer ce que le froid pouvait faire sur un corps humain. Les androïdes risquaient déjà la désactivation suite au gel des composants, qui pouvaient rapidement finir congelés. Alors je savais que notre sauveur risquait sa vie bien plus que nous et ne serait pas capable d'atteindre l'autre rivage. Et pourtant les coups de feu dans notre dos ne nous ont pas laissé d'autre choix que de sauter.

J'essayais de rester aussi proche de notre allié que possible, alors que de nombreux messages d'erreurs commençaient à s'afficher au bout de quelques minutes à peine. Mes biocomposants en prenaient un sacré coup. Je continuais de nager en essayant d'aider notre sauveur autant que j'en étais capable. Dieu merci, un des deux androïdes a trouvé une petite embarcation. Le militaire venait de perdre connaissance. C'était petit, on serait à l'étroit mais il fallait absolument sortir de l'eau, notre nouvel ami en priorité. L'extrémité de mes membres avait gelé, je peinais à bouger. Malgré tout nous avions réussi à le sortir de l'eau, parvenant ensuite à le faire recracher l'eau qui était entrée dans ses poumons. Un de mes deux compagnons de route a dit qu'il valait sans doute mieux l'abandonner, que ce ne serait pas "si grave" disait-il puisqu'il avait participé aux évènements. Je suppliais de lui laisser une chance, il s'était rattrapé, il nous avait sauvé. Sans lui nous serions mort à l'heure qu'il est. rA9 soit loué, le deuxième androïde était parfaitement d'accord avec moi. En accédant rapidement à internet, nous avons trouvé le moyen de rejoindre le Canada. Là-bas nous serions en sécurité et nous pourrions trouver de l'aide. Il fallait absolument trouver de l'aide rapidement, parce qu'il perdait beaucoup de sang. J'essayais de stopper le saignement comme je le pouvais, pendant que les deux autres dirigeaient l'embarcation jusqu'à une autre rivière qui nous mènerait au Canada sur l'autre rive.

Nous avons dû marcher un long moment, portant tant bien que mal notre allié mourant. On allait forcément tomber sur quelqu'un, quelqu'un qui pourrait le conduire à l'hôpital, ou au moins quelqu'un qui pourrait l'aider. J'avais trouvé un téléphone portable dans l'une de ses poches, j'ai analysé tout le répertoire, cherchant les noms, les adresses. Peut-être qu'il y avait quelqu'un proche qui pourrait nous aider, qui pourrait le sauver ? Trouvant rapidement ce que l'on cherchait, une personne contactée qui nous attendait. Nous sommes arrivés jusqu'à une cabane en bois, où une femme sortait à toute allure pour venir nous rejoindre. Des secours étaient présents, il a pu être pris en charge rapidement. La femme semblait soulagée et nous remerciait de l'avoir ramené vivant. Les deux androïdes sont partis, moi je suis restée. Je m'inquiétais, je ne voulais pas partir sans savoir s'il allait bien et sans pouvoir le remercier. La femme me prenait les mains en me disant que tout irait bien. Elle dévoilait alors son identité, sa mère, c'était sa mère. Contre toute attente, elle ne nous tenait pas responsable de l'état préoccupant de son fils. Elle était si douce et compréhensive, me rappelant celle que j'avais considéré comme étant ma mère, Carla. Les larmes me sont montées aux yeux, des larmes que je retenais et j'avais accepté de la suivre à l'intérieur pour attendre d'avoir des nouvelles. Et finalement, tout irait bien.

Les semaines qui ont suivi ont été assez étranges et difficiles. Finalement j'étais restée en compagnie de mon sauveur. C'était une sensation étrange d'être en vie après avoir accepté la mort, après avoir tellement cru que mon heure était venue. Je ne réalisais sans doute pas au début. Les évènements à Detroit revenaient me hanté. Chaque mise en veille en profitait pour faire défiler des images que j'aurais voulu pouvoir oublier. Et je n'étais pas la seule à avoir ce problème, puisque Mitchy, enfin de son vrai nom Mitchel, se réveillait toutes les nuits de crises de terreurs nocturnes. Je prenais à coeur d'aller l'aider durant ces moments à chaque nuit, quand bien même il me rejetait. Nous avons appris pour la victoire des androïdes à Detroit, cela ne me donnait pas spécialement envie de rentrer pour autant. Et je savais surtout qu'à Detroit Mitch était considéré comme un criminel ayant abandonné son poste et trahi son pays. Et puis avec le temps on s'habituait à cette nouvelle vie au Canada. Parfois on parvenait même à être heureux, durant un moment, oubliant un instant le lourd passé qui nous poursuivait. Je découvrais à ses côtés les bons côtés de la vie, la vraie vie. Nous allions parfois à des soirées dansantes ou tous les habitants du village étaient réunis. Des soirées où l'on pouvait s'amuser, profiter, se changer les idées. Des soirées où j'osais parfois venir réclamer une danse à Mitchy. La vie n'était peut-être pas parfaite, mais elle pouvait être si belle.

Une année est ainsi passée. Nous avions bien pris nos habitudes désormais, on avait trouvé notre place, du moins je le pensais. Et puis un beau jour il avait l'air contrarié, déstabilisé. Perdu dans ses pensées. En lui faisant la remarque, afin de savoir qu'est ce qui provoquait cela, il me répondait qu'il devait retourner à Detroit. Un aveu qui me surprenait et m'effrayait mais il s'éloignait faire ses bagages avant de me laisser le temps de répondre. S'il fallait  y retourner, très bien, je l'accompagnerais. Alors je suis aussi allée préparer mes bagages pour le suivre jusqu'à Detroit.