Révélations | Jay

J'avais travaillé toute la nuit à Cyber Hospital et j'étais fatigué. Je ne me souvenais plus de ma dernière nuit complète de sommeil, inutile de vous dire que j'avais très hâte de finir ma journée au boulot. Heureusement pour moi, je terminais dans une vingtaine de minutes (si tout se passait bien, car ce n'était pas rare qu'on me demande de rester plus longtemps). Alors, je pourrais enfin gouter aux joies d'une fin de semaine de repos bien mérité. J'étais seul dans mon bureau, à compléter dossiers et document de mes précédents patients, que je planifiais déjà mon weekend. Je pourrais passer mes trois prochains jours de congés à binge-watch la nouvelle émission policière sur Amazon, avec Ian. J'avais déjà lu les livres dont étaient inspiré la série, il y a quelques années, je me demandais si l'adaptation était aussi bonne. Bon, trois journées à rien faire, c'était peut-être un peu exagéré, même en si bonne compagnie. Je pourrais m'organiser une petite sortie au théâtre avec mon cher Ben, et je pourrais aussi inviter Lizzie et Wanda, si elles étaient libres. J'ai agrippé mon portable dans le but de contacter les personnes concernées, mais je m'aperçus qu'on m'avait devancé ; je venais tout juste de recevoir une notification de mon meilleur ami. Je me suis empressé de lire son message. Ben m'invitait à passer un peu de temps en sa compagnie, au Martin Park à la Hart-Plaza. Je me suis empressé de lui répondre par écrit :



J’ai rangé mon portable et terminé de mettre à jour les dossiers. Une simple petite invitation de Ben me faisait oublier à quel point j’avais besoin de repos. Ce n’est pas grave, me consolais-je, je pouvais toujours récupérer mon sommeil plus tard, (dans les bras d’une certaine personne). J’ai consulté l’heure affichée digitalement au mur ; je n’étais pas trop certain si le temps me permettait d’aller me mettre une tenue convenable chez moi avant de rencontrer Ben. Je ne devrais pas prendre de chance puisque je n’aimais pas me faire attendre, je prendrais donc ma douche aux vestiaires du Cyber Hospital. De plus, je m’étais apporté des vêtements de rechange, c’était une tenue très décontractée, mais ça pouvait convenir. Allez ! Je me suis dirigé vers les vestiaires, savonné sous l’eau et enfilé mes vêtements propres. J’ai consulté mon portable. Il me restait encore du temps, mais je doute être capable d’arriver un peu plus tôt que l’heure attendue.

J'arrivais au lieu de rendez-vous avec quelques minutes de retard. Si j'avais un peu de chance, je serais le premier sur place. J'ai jeté un regard aux alentour pour chercher mon meilleur ami. J'identifiais rapidement Ben, assis sur un banc à proximité de la fontaine. Il me semblait… perplexe ? J'espérais que ce n'était pas dû à mon retard, moi qui étais toujours ponctuel. Je me dirigeais vers lui et il m'aperçut à son tour. Son expression faciale et corporelle changea. Il m'abordait son magnifique sourire (les ST200 avaient vraiment tout pour eux. Ils étaient parfaits physiquement. Et mon ami ne faisait pas exception). Je ne pus que lui retourner la pareille, j'étais bien content de le voir, mais j'affichais un sourire désolé, en espérant me faire pardonner mon retard. Ben se leva de son banc pour venir m'accueillir, les bras ouverts. Je le serrais dans mes bras. Habituellement, j'évitais tout contact physique, mais avec Ben, c'était différent ; il était l'une des trois personnes qui avaient mon autorisation (et que j'encourageais à continuer). Mon ami me lançait un « Content de te voir ! Tu m'as manqué ! » et je ris à ses paroles. Nous nous étions vus hier (non, le jour d'avant, en fait… Mon horaire de nuit me faisait perdre la notion du temps !), mais je ne pouvais qu'acquiescé.

« Bae ! Ces jours passés sans toi sont une éternité ! »

J’avais commencé à l’appeler « Bae » après un énorme malentendu, il y a quelques semaines. Et l’origine de ce surnom était tout bête ; fier de moi, je l’avais surnommé « B » (pour Ben), mais on m’a fait rapidement remarquer que « B » et « Bae » avaient certaine similarité dans la prononciation. Embarrassé en premier lieu, j’avais tout simplement arrêté de l’appeler de cette façon, pour enfin en faire un « running gag » affectueux. Maintenant, c’était son surnom officiel, selon mon vocabulaire (et mon portable !).

« Je vais très bien merci ! Une nuit bien mouvementée, cependant… » que je lui répondais après que Ben m’est posé la question, tout en m’incitant à marcher.

Je le regardais. Ben ne semblait pas être dans son état habituel. Il était pensif, quelque chose le rongeait. Nous nous arrêtions quelques minutes plus tard. J’avais l’impression qu’il voulait m’avouer quelque chose de grave (ou de honteux ? J’étais perplexe…). J’avais vu juste ; il m’avoua qu’il avait quelque chose à me dire depuis longtemps, mais qu’il procrastinait. Il ne termina pas sa phrase, la laissant en suspens. Je n’aimais pas ça. Qu’est-ce qu’il voulait me dire qui était aussi… difficile ? Ça ne faisait pas si longtemps que nous nous connaissions, mais nous n’avions pas hésité à partager des secrets. Ben a baissé la tête et je le regardais maintenant avec curiosité, tout sourire disparu. Il releva la tête et ses yeux bleus me transperçaient le regard. J’avais visionné assez de film pour comprendre que j’allais me faire embrasser. J’étais « off-limit » et Ben le savait pourtant très bien ! J’étais paralysé par la panique qui montait en moi. Lorsque je m’apprêtais à lui rappeler que je ne recherchais pas de relation romantique, il reprit la parole. Cette fois-ci, Ben semblait me demander pardon, en clamant qu’il ne m’avait pas tout dit la vérité sur lui. Je voulais lui dire que c’était bien, avoir des secrets, que rien ne l’obligeait à tout dévoiler, mais quelque chose m’empêchait d’articuler et de me mouvoir, j’avais encore la vague impression qu’il m’appréciait peut-être un peu trop. Lorsque j’étais certain de recevoir un baisé de sa part, il me surprit en m’annonçant qu’il était un androïde.

« Quoi- ? » a été ma première réaction. Ma réponse a peut-être été un peu trop directe, mais j'étais… surpris ? Oui, j'étais même plus que surpris ! Je fronçais les sourcils. Est-ce qu'il se foutait de moi ? « Tu plaisantes, Ben, n’est-ce pas… ? »

Il avait pourtant l'air sincère. J'étais confus. Je l'invitais à s'asseoir sur le banc, en laissant une main sur son épaule. Il était désolé, il ne voulait pas me cacher le fait qu'il était un androïde, car il avait peur que je le regarde autrement. Il était réellement bouleversé.

« Oui Ben, je sais. » Je me suis permis une pause, j'avais étrangement la bouche sèche. « Tu es un ST200, un des premiers modèles commercialisés. » J'ai arrêté une seconde fois. J'avais l'impression que le fait d'être un androïde lui posait problème, Ben avait de la difficulté à accepter son identité. « Bien sûr que tu es un androïde. Mais sache que tu es, avant tout, un être humain. Tu penses comme un humain, tu agis comme un humain, nous avons tous les mêmes droits, nous sommes égaux. Tu n'as pas à t'inquiéter. Tout va bien. »

Loin de me douter que Ben allait m'annoncer qu'il était un androïde. Bien que nous n'avions jamais abordé le sujet auparavant, je croyais que l'information était déjà évidente et connue. Cependant, je voyais bien que mon meilleur ami s'angoissait à me révéler ce-dit « secret ». Surpris par cette révélation, ma réaction ne fût sûrement pas la plus approprié, je l'avoue, et je m'en voulais énormément. Ben avait sûrement rassemblé tout son courage pour me faire son coming-out et voilà que j'avais répondu bêtement, pensant qu'il se payait ma tête. Il était déçu, trahi, j'étais capable de le lire sur son visage. Le fait qu'il tentait d'éviter mon regard me fit davantage mal. Je n'aimais pas voir mon ami dans une situation comme celle-là, de le voir misérable et malheureux. Il articula un « non », mais ne parvient pas à finir sa phrase. Est-ce que j'avais été trop brusque ? Présentement, je donnerais tout pour revenir en arrière et de lui offrir la réaction parfaite. Mais que devrais-je avoir comme réaction ? Faire semblant d'être surpris ? Mais ça ne serait pas très honnête de ma part. Lui dire que je le savais depuis toujours ? Oui, ça me semblait un peu plus acceptable, alors je me suis lancé dans cette direction.

J'ai repris parole pour tenter de me corriger. Je devais lui dire la vérité ; j'ai toujours su qu'il était un androïde. J'ai capté l'attention de Ben, celui-ci me regardait maintenant avec surprise. Oh, si tu savais… J'avais une certaine passion pour les modèles ST200, je pouvais les identifier n'importe où. Diode ou non. Cette gamme avait été conçue avec aucun défaut, des êtres au physique entièrement parfait. J'ai expliqué ensuite à Ben de ne pas s'inquiéter. Je ne voulais pas qu'il renie sa race. Je ne voulais pas aussi qu'il croit qu'être un androïde était quelque chose de honteux. Je voulais lui faire comprendre que j'allais être toujours là pour lui, peu importe ce qui adviendra. Lorsque je finis mon petit monologue, je lui offris mon plus sincère sourire. Toujours surpris, il reprit la parole me disant si j'étais sérieux sur le fait que j'avais toujours su. Malgré l'interrogation dans sa voix, je me doutais qu'il ne s'agissait pas d'une réelle question. Sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il m'avouait qu'il se sentait con, mais soulagé. J'avais envie de le serrer dans mes bras, j'avais l'impression qu'il était vulnérable. Et dire que je croyais qu'il voulait m'embrasser. Le plus con entre les deux, c'était bien moi !

Ben me regardait de plus bel en me souriant et je me suis mis à rire en pensant à la situation (ou plutôt, à tout cet embarras que la situation avait occasionné). J'ai cessé de rire et repris mon souffle, affichant un simple sourire en écoutant mon meilleur ami. Il m'avouait qu'il se sentait mal de m'avoir caché la vérité et que j'avais le droit de savoir. Oh Ben, tu n'avais pas à être désolé, je ne savais même pas que c'était un secret. Oui, j'aurais peut-être dû te poser la question, puisque tu en avais jamais parlé par le passé, mais ça ne m'avais jamais traversé l'esprit. Il m'a ensuite confié qu'il aurait dû s'en douter que la révélation ne m'aurais pas dérangé, en se fiant à mon travail. C'est vrai qu'avec mes deux emplois, j'étais majoritairement en présence d'androïdes. Mais en même temps, j'avais déjà entendu des histoires de ce mec qui travaillait à CyberLife, qui avait dévoué toute sa vie sur les androïdes, mais qu'il s'était ensuite affiché anti-déviants (ce qui lui avait coûté son poste d'administration au sein de l'entreprise, d'ailleurs). Alors, le travail ne faisait pas la personne. J'aurais pus être comme ce type, va savoir.

« Mais non, ne t'inquiète pas. Tu ne m'as jamais menti. Mon opinion de toi ne changera pas si tu ne me dis pas tout, tu sais. Je sais que tu es une personne merveilleuse et pour rien au monde je voudrais avoir un autre meilleur ami que toi. Et puis bon, maintenant je le sais. » J'ai laissé une courte pause.  « Si tu veux, je te fais une liste des choses que je ne t'ai jamais dites ! ... Non, je plaisante, mais s'il y a quelque chose que tu veux savoir, je te répondrais en toute honnêteté ! »

Je lui ai retourné son embrassade. Ben était quelqu'un de bien. Si tout le monde était comme lui, il n'y aurait plus jamais de guerre dans le monde et tout serait parfait. Nous mettions fin à notre étreinte et il me demanda pourquoi je ne lui avais rien dit. J'étais un peu gêné. Pourquoi je n'avais rien dit ? Je ne savais pas trop quoi répondre à cette question. J'ai haussé les épaules.

« En fait, je ne savais pas que c'était un sujet important pour toi. Je veux dire… je ne t'ai jamais avoué que j'étais humain, et pourtant, je suis certain que tu savais que je n'étais pas un androïde. Et je ne pensais pas que ça ferait une différence dans notre amitié, tu comprends ? Et arrête de dire que t'es con ! T'es pas con, voyons. » Mon regard s'assombrit lorsque j'ai pensé à l'Opposition. « Ouais bon, j'aurais pu être comme ces types anti-androïdes, qui sait... Mais je te rassure, je suis à cent-dix pourcent du côté des androïdes ! Et le contraire serait surprenant, si ? Je n'aurais plus aucune chance avec Ian ! »

Je ris pour détendre un peu l'atmosphère avant de remarquer ce que j'avais dit. Un instant… est-ce que j'avais déjà avoué que j'appréciais bien Ian ? J'avais un doute. Bon, eh bien, faut croire qu'aujourd'hui, c'était la journée des révélations ! Je me suis levé du banc et j'invitais Ben à me suivre.

« Allez, on se promène un peu ? » le suppliais-je du regard, en essayant de changer le sujet.

Je me trouvais chanceux que Ben avait assez confiance en moi pour m'avouer qu'il était un androïde. Un secret qu'il gardait depuis notre rencontre, malgré que je le savais, sans m'en soucier, depuis le tout début. C'était un avantage (ou plutôt un désavantage dans cette situation) d'avoir étudié et travaillé avec tant d'androïdes différents durant ces dernières années. Je tentais de mettre mon meilleur ami à son aise, le plus naturellement possible, lui expliquant que je me foutais bien de la différence androïde-humain ; après tout, nous nous ressemblions énormément autant sur le plan physique qu'intellectuel. Il me remerciait ensuite pour les compliments que je lui avais offerts et me rendait la pareille avec toute sa sincérité. Je ne pus m'empêcher de penser intérieurement : Tu mérites tous les compliments au monde, mon Ben.

Je plaisantais en lui disant que j'allais lui dresser une liste de choses qu'il ne savait pas sur moi. Cependant, cette blague me fit réellement réfléchir ; y avait-il vraiment quelque chose que Ben ne savait pas ? que j'avais omis de lui dire ? Peut-être m'angoissais-je pour un rien. J'étais d'ailleurs très bon pour ce genre de choses. Mais avant que je n'aie pu exprimer mon inconfort, Ben se permit de rajouter en demandant ce que je pouvais bien cacher et si j'avais une identité secrète à la Clark Kent. J'affichais une expression faussement surprise et je lançais un : « Merde, je ne voulais pas que tu l'apprennes de cette façon ! Je cache mon identité de super-héros pour protéger ma famille et mes amis, tu comprends ? » avant de rire de cette bêtise avec Ben. Ça détendait l'atmosphère, c'était agréable. Je passais du bon temps avec lui.

Ben me demandait ensuite pourquoi je ne lui avais rien dit sur le fait que je savais qu'il avait le sang bleu plutôt que rouge. Je lui ai répondu sincèrement. Peut-être même un peu trop sincère, car j'avais avoué que j'avais une certaine attirance envers mon colocataire, qui était aussi un androïde. Ce n'est pas quelque chose que j'essayais de cacher, mais plutôt un sentiment que j'avais de la difficulté à apprivoiser et à comprendre moi-même. La surprise s'affichait désormais sur le visage de mon ami et je me demandais si je n'avais pas dit quelque chose de déplacé. Oui bon, ces relations étaient encore taboues et très mal vue, et je comprenais le "choc" que cette situation pouvait occasionner. Même moi, lorsqu'un androïde m'avouait qu'il entretenait une relation avec un humain, je ne pouvais m'empêcher de penser si l'androïde le désirait vraiment ou s'il le faisait par obligation d'un passé de compagne intime. La plupart du temps, le sentiment n'était pas réciproque. Nous le savions tous, humains et androïdes n'avaient pas les mêmes besoins.

J'ai proposé à Ben de se promener un peu, pas certain d'avoir vraiment envie de parler de Ian et moi. Je ne savais pas quoi dire puisque je ne savais pas trop ce que je voulais avoir avec mon ancien androïde ménagé. Malheureusement, ma technique de diversion échoua lamentablement lorsque Ben reprit parole en me demandant si je voulais plus qu'une relation amicale avec Ian. Je restais silencieux encore un moment, réfléchissant à ses paroles. Je n'en avais jamais parlé à quiconque et c'était… étrange de l'exprimer à quelqu'un. Pourtant, j'étais certain que je comprendrais mieux mes émotions de cette façon. Ben parla de nouveau, sûrement dû au manque de réponses de ma part. Son interrogation suivante semblait être beaucoup plus pour lui qu'une question pour moi ; si c'était possible qu'un androïde et un humain soient ensemble. Je restais toujours muet, préférant écouter son point de vue sur le sujet. J'avais envie de lui dire qu'une telle relation était possible, mais que la confiance et la communication étaient requises (comme n'importe quelle relation, quoi ! Ce que plusieurs personnes oubliaient malgré tout).

Et puis la question directe ; si j’étais amoureux. Si je restais encore silencieux à cette question, mon ami se ferait forcement des idées hâtives. Pour calmer sa curiosité, je lui avouais autant bien que mal : « Non… Oui ? Peut-être ? Je dois avouer que je ne le sais pas du tout. Ça fait tellement longtemps qu’il est là avec moi, qu’il est présent. J’ai de la difficulté à l’imaginer faire sa vie ailleurs… avec quelqu’un d’autre. Je crois que j’ai peut-être… » je me permettais une pause, embêté de cette réalité, avant de continuer : « … développé un certain attachement envers lui. Je ne sais pas si c’est de l’amour, mais j’ai envie d’être avec lui. Tout le temps. » Je laissais échapper un soupir, je me trouvais pathétique d’une certaine façon. Est-ce que c’était de l’amour ou bien simplement la crainte de le perdre et de me retrouver seul ? « J’aimerais bien avoir plus que de l’amitié avec lui. Mais malheureusement, je ne crois pas que ça va se produire. »

J'étais incertain si je devais en dire plus à propos de ce que je ressentais envers Ian. J'avais bien sûr toute ma confiance placée en Ben - lui-même m'avait jugé assez de confiance pour me dire un secret qu'il avait sur la pense un peu plus tôt – et je pouvais lui parler de n'importe quoi, cependant, mes sentiments envers mon androïde étaient confus. Avais-je vraiment de réel sentiment pour lui, ou bien, il ne s'agissait que d'une certaine forme de fantasme inaccessible qui me rongeait ? Je me décevais de penser de la sorte, s'en était presque maladif. Je devais cesser d'embêter mon meilleur ami à ce sujet, il finirait bien par fuir de honte.

Pourtant, une partie de moi me forçait à lui en parler. Mine de rien, en discuter m'aidait à y voir plus claire. Je finissais par avouer à l'auxiliaire de vie que j'étais partagé dans mes sentiments. Peut-être serait-il en mesure de m'aider davantage ? Je lui expliquais que j'avais de la difficulté à bien comprendre ce que je ressentais, en précisant mon désir égoïste de ne vouloir le voir partir avec quelqu'un d'autre. Ben, tout en restant calme, me dit une phrase qui me fit redresser la tête. Il était vrai que nous passions beaucoup de temps ensemble, mon meilleur ami et moi, et que jamais je ne voulais le perdre. Mais effectivement, je ne ressentais pas la même chose avec lui qu'avec l'autre androïde. J'essayais d'argumenter, mais je ne trouvais absolument rien à dire. Ben n'avait pas tort. Il reprenait parole en me disant qu'il était sûr que j'étais amoureux de Ian. Si mon visage n'était pas pourpre avant, il l'était maintenant. Je ne pus m'empêcher de sourire - par gêne, peut-être ? -. La seule chose que j'eus trouvé à dire était un simple « Tu crois ? » . Je laissais un certain moment de silence puis je lui avouais enfin que j'aimerais avoir beaucoup plus qu'une simple relation d'amitié avec Ian, mais que ça me semblait inaccessible, voir même impossible. Sur cette phrase, il me répondait avec une question ; pourquoi était-ce impossible ? Je cherchais mes mots. Je devais maintenant lui avouer autre chose qui m'était arrivé, il y a environ un an et qu'il ignorait toujours.

« Eh bien… Nous nous sommes déjà embrassés, lui et moi. Après la manifestation de Markus… » J'hésitais beaucoup trop dans mes paroles, c'était un sujet sensible pour moi. « Et le lendemain, lorsque je croyais qu'il m'appréciait bien, il m'a avoué que ça ne voulait rien dire. Que c'était seulement sur l'émotion et l'adrénaline du moment. » Je lui avais sûrement trop fait regarder des films d'amour à l'eau de rose, pensais-je, et il avait alors réagi comme ces acteurs ringards qui nous laissaient croire que leur amour était plus fort que tout. Je poussais un soupir. « Je crois que c'est à partir de ce moment que j'ai réalisé, car ses paroles m'avaient tellement fait mal. J'avais peur de le perdre avec ce stupide baisé que je lui ai donné… Voilà pourquoi ça ne fonctionnerait pas. Et malheureusement, je ne semble pas être capable de décrocher. » Je fronçais les sourcils.

Il me proposait ensuite d'aller lui parler. « Déjà que je croyais l'avoir perdu en l'embrassant la première fois, maintenant je vais le perdre pour de bon si je lui avoue que je suis toujours au même point que l'année dernière. Il va fuir, c'est certain. » J'étais plutôt agacé et je ne semblais plus être heureux dans cette conversation, avec mes réponses plutôt secs et rapides. Mon meilleur ami l'avait sûrement déjà remarqué, d'ailleurs. Sans changer entièrement le sujet, il évitait de parler de Ian. Il voulait savoir comment nous savions lorsqu'on était amoureux. « Eh bien, cette personne occupe toutes tes pensées, et quand tu la vois, tu as l'impression que ton cœur va exploser. » Je ne savais guère si tous les androïdes avaient les mêmes "symptômes" que les humains. « Tu veux te rapprocher de la personne, tu veux qu'elle te remarque, tu veux être son centre d'attention comme elle est le tien. Tu veux la rendre heureuse, tu veux lui parler tout le temps. » Okay, j'étais bel et bien amoureux. C'était exactement ce que je ressentais. J'avais de la peine, mais je tâchais de retenir mes larmes.

Puis, Ben me soulignait que je n'avais pas répondu à sa question précédente sur les relations humain-androïdes. « Je le crois, oui. J'ai peur que je sois la seule personne à penser ainsi, mais j'y crois. Nous sommes pareils dans nos différences. Nous éprouvons tous des émotions et des sentiments. C'est ce qui nous rallie. Nous sommes tous humains, même si nous ne sommes pas faits pareil. » Je m'arrêtais soudainement ; cette fois-ci, j'avais vraiment envie de pleurer. Je voulais prouver à Ben qu'il n'y avait rien de mal avec une relation humano-androïde, mais même moi, ce critère semblait me ralentir dans ma relation -inexistante- avec Ian. « Je suis désolé, ça te dérangerait si on continue notre conversation plus tard ? Je ne me sens pas très bien… »