[Flash Forward] But I have no desire to gonna be mad (feat Phoenicia Collart)

Onze juin. Merveilleuse journée ensoleillée que voilà. Assise sur une chaise en bois, observant le ciel et cachée derrière une paire de lunettes noires, Luana profitait d'un moment de calme et de sérénité, ne pensant à rien, écoutant le chant des oiseaux et le bruissement de l'air. Elle adorait se fondre avec la nature, perchée si loin du tumulte de la ville. Elle souriait, tentait de discerner des formes par delà les nuages. Ce satané lapin blanc revenait à chaque fois, comme s'il était là pour lui rappeler d'où elle venait, de ce cirque itinérant qui aura fait d'elle la jeune prodige de Détroit. Sa famille lui manquait beaucoup, chose à laquelle elle ne pouvait lutter. Et d'ailleurs, elle ne devait pas être en retard ! Le lapin le savait lui, et elle ne pouvait pas se permettre de lui courir après dans l'instant. Car la jolie afro avait une entrevue un peu particulière.

Se levant de son siège, soupirant un peu, elle rentra dans son chalet pour y prendre son sac. Montre au poignet et clefs en main, elle claqua la porte et rejoignit le bitume craquelé de la route. Elle ne quitterait pas son quartier ce matin. Son rendez-vous n'était qu'à quelques rues de là. Mais où se rendait-elle de si bonne heure ? Chez une psychologue. Une jeune femme du nom de Phoenicia Collart, dont elle avait glané son adresse en fouinant dans un annuaire. Effectivement, la demoiselle aurait pu se procurer un cellulaire et se renseigner bien plus vite ! Mais elle n'aspirait pas à la technologie. Hormis ce bon vieux téléphone filaire et sa vieille platine à disques, elle se contentait de vivre simplement, sans tous ces bip-bip qu'elle considérait comme néfastes pour sa santé. C'était son droit ! D'ailleurs, elle ne manquait pas d'aller chiner dans des brocantes afin d'y déceler des antiquités à écouter. Aussi jeune et vieux jeu à la fois ? Elle s'en fichait bien.

Proche de l'arrivée, Luana stoppa l'allure un instant, inspirant avec douceur l'air ambiant. Elle n'avait jamais mis les pieds chez ce genre de praticien. La peur de devoir parler ? Ou de se faire tirer les vers du nez par une inconnue ? Très certainement. Mais son besoin familial empiétait un peu trop sur ses obligations, et se confier à une professionnelle restait sa meilleure option. Elle n'avait pas de réelles amitiés à Détroit, hormis sa jeune troupe. Mais elle ne se sentait pas encore prête à leur parler de ses racines. Rangeant ses lunettes dans son sac, elle s'avança vers une maisonnette et entra dans son enceinte. Une plaque brillante attira son attention. Elle regarda de plus près, rassurée d'y voir le nom de la jeune femme qu'elle était sur le point de côtoyer.

• Tu peux le faire Lulu. Elle ne va pas te croquer... Tu n'es pas une friandise.

Certes, il lui arrivait souvent de parler toute seule, histoire de se rassurer ou de se botter les fesses pour aller de l'avant. Lulu, ce diminutif que tout le monde lui donnait au sein du cirque familial. Mais sous son chapiteau, c'était Luana. Une règle à laquelle elle aspirait beaucoup. Pas de mignonneries au travail. Inspirant de nouveau, elle passa une main rapide dans ses cheveux et sonna à la porte. Derrière le pan de bois, elle entendit des pas se hâter. La porte s'ouvrit, et le visage angélique d'une belle brune fit son apparition, tout sourire.

• Bonjour. Hum... Je suis... votre rendez-vous de neuf heures.

L'émotion la fit bégayer un instant. Le rouge lui montait aux joues, lui donnant l'envie pressante de se cacher au fond d'un terrier. Mais elle ne bougea pas, attendant patiemment que la jeune femme la fasse entrer.

• Bonjour Luana, venez entrez. C’est par ici.

Une dame très chic et vraiment engageante... Oh non ! Ne vous méprenez pas surtout. Luana n'était pas de ce bord-ci. Mais elle était forcée de constater que cette psychologue avait belle d'allure. Elle le pensait si fort pourtant... Rougissant de plus belle, elle suivit Phoenicia jusque une petite pièce où se trouvait son bureau. Elle jeta un bref coup d’œil à sa décoration d'intérieur, n'y connaissant strictement rien mais séduite par l'harmonie qui y régnait. Elle fut invitée à s'asseoir sur un fauteuil en cuir noir. Elle prit place, posant son sac à terre, gardant les mains sur ses genoux. Le dos bien droit, fixant avec une certaine gêne cette jeune femme à la tchatche facile. Elle voulait d'abord s'assurer que personne ne vienne les déranger, si tentée qu'il y ait une tierce personne en ces lieux. Qu'allait-elle pouvoir lui dire ? Serait-elle à la hauteur ?

• Je vais commencer avec une question...

Directe. Sans détour, ce qu'initialement Luana espérait de sa part. Qu'elle ne prenne pas de pincettes et qu'elle entre dans le vif du sujet tout de suite en lui demandant si... Quoi au juste ? Depuis quand elle avait osé quitté sa famille ? Pourquoi l'avoir fait aussi jeune ? Et pourquoi Détroit ? Quelle misère... Une multitudes d'éventualités plus ou moins loufoques lui traversaient l'esprit à chaque seconde. Elle en avait presque la tête qui tourne, jusqu'à ce que la brune finisse par lui dire ce qu'elle voulait savoir.

• Si vous étiez une couleur, laquelle seriez-vous ?

• Une couleur ? Hum...

Celle-ci, elle ne s'y attendait pas le moins du monde. Elle se raidit un instant, restant pensive une seconde alors que la solution était déjà là. Cela paraissait pourtant évident qu'il s'agissait du rose mais... En quoi cela allait-il l'aider à mieux vivre son éloignement familial ? Patience est mère de vertu Luana...

• Et bien, je dirai le rose Madame... Mademoiselle ! Oh je... Je suis désolée...

Voilà tout le problème avec la jeune fille. Elle pouvait facilement perdre ses moyens face à ce genre de propos qu'elle avait prononcé sans la moindre difficulté. Phoenicia ne risquait de lui en vouloir c'est certain ! Mais ça, elle ne pouvait pas le savoir. Ou du moins pas encore. Un léger rire nerveux s'empara d'elle. Elle regarda ailleurs, tentant de trouver une échappatoire. En vain...

• Veuillez m'excuser. Je n'ai pas l'habitude de ce genre de séance...

Plus vermillon qu'un coquelicot, elle baissa le regard sur ses mains agrippées à ses genoux. Elle pouvait sentir la violence de ses ongles essayant de se planter dans sa chair au travers du vêtement. Trop bête ? Passablement idiote ? Ou tout simplement incapable de tisser des liens avec qui que ce soit ? Elle n'en savait trop rien, et ça n'avait pas la moindre importance en cet instant.

Cette psychologue devait avoir l'habitude de recevoir des cas désespérés comme celui de Luana. Madame ou mademoiselle ? Aucune importance ? Elle semblait bien jeune pour quelqu'un de cette spécialité... enfin, c'est ce que la canadienne pensait au fond de son esprit. Mais elle approuvait ce choix de l'appeler directement par son prénom. Une façon simple et efficace de briser la glace sans gêne. La belle afro acquiesça de la tête, relevant les yeux vers ce visage angélique et si doux à regarder... Seigneur ! Elle recommençait !

• Rose : féminité, romantisme, tendresse, séduction, bonheur, jeunesse.

Ahurissant. Phoenicia souriait, incitant Luana à faire de même face à cette révélation inattendue. Bien que la séduction soit un sujet auquel elle n'ait jamais vraiment aspiré, pour le reste... c'était un sans faute. Alors, le rose était sa couleur de prédilection ? Elle qui voyait la vie toujours aussi sucrée même dans les instants les plus noirs... Elle se sentait un peu mieux contrairement aux apparences. Elle pouvait se détendre pour de bon, rassurée de voir qu'elle avait frappé à la bonne porte ce matin.

Ses doigts quittèrent ses genoux et revinrent à hauteur du bureau de la brune, délicatement posés sur ses bras opposés. Elle se permit même de croiser ses jambes, chose qu'elle ne se permettait qu'en de rares occasions. Certes, elle tenait à préserver une certaine distance entre elle et la psychologue, mais il n'y avait rien de méprisant dans cette attitude. Juste un instinct de protection avancé. Elle écoutait attentivement le rappel des faits, le pourquoi de sa visite en ces lieux. Elle s'était pincée à de multiples reprises avant de téléphoner.

• Vous avez quittés votre nid familiale pour réaliser votre rêve...

Bien résumé. Tout le problème venait de là. Voler de ses propres ailes nécessitait de quitter sa famille. Le Canada ne lui offrait rien de pertinent, comme les autres pays d'Europe qu'elle avait visité plus tôt. Détroit... ville si proche de la frontière. Elle devrait se réjouir pourtant ! Mais elle ne parvenait pas à couper le cordon. Elle se savait bien trop proche de la troupe. Et s'il devait lui arriver quoi que ce soit, Alice pourrait toujours rentrer à la maison. Personne ne la jugerait, ni la gronderait d'avoir essayé et d'avoir échoué. Non. Luana se plaisait à cette idée, même si pour elle l'échec n'était pas une option. Alors, lorsque la psychologue voulait s'assurer de la raison de sa venue, la belle afro avait toutes les cartes en poche pour lui donner ce qu'elle voulait.

• Ma famille me manque, c'est indéniable...

Elle prit une grande inspiration et se pencha malgré elle vers la brune, posant ses poings sur le bureau sans la moindre violence. Son visage quelque peu attristé par le souvenir de ses bons parents commençait déjà à la hanter.

• Pour être franche, je ne me sers pas des réseaux sociaux pour les joindre.

Pour être plus clair ? Luana était technophobe, et adepte du néo-luddisme. De cette pratique extrémiste qui consistait à détruire ce que l'Homme avait de nouveau à proposer au Monde. Oh elle ne se permettrait jamais de casser quoi que ce soit ! Mais elle approuvait, secrètement, que certains spécimens dangereux pour la santé soient éradiqués. Mais pas les androïdes ! Jamais de la vie ! Elle tenait à ce qu'ils puissent vivre et... Non. Son esprit était en train de dériver. Il fallait qu'elle se reconcentre.

• Je suis contre la technologie. J'use de la bonne vieille lettre papier mais...

Elle ne finira pas cette phrase. Car dans le bureau résonnait une sonnerie de téléphone. Pas le sien en l'occurrence, vu qu'elle n'en disposait pas. Celui de la psychologue peut-être ? Luana se recala sur le dossier de son siège, inspirant lentement et permettant ainsi à la brune de répondre si elle le désirait. Après tout, c'était peut-être important ?

La belle afro ne bougeait pas d'un cil, observant d’œil étonné l'attitude qu'était en train d'adopter la psychologue. Ce rouge qui lui montait aux joues alors qu'elle lisait ce qui était inscrit sur son cellulaire sophistiqué... Se sentait-elle bien ? Elle souriait, ce qui pouvait prêter à confusion pour Luana. Elle aurait voulu lui proposer une aide quelconque, mais ce n'était pas une bonne idée. Elle était la patiente, non le médecin. Phoenicia était certainement du genre à cacher sa vie privée ou...? Non, elle ne devait pas s'en mêler outre mesure. Alors elle garda le silence, attendant patiemment que la brune range l'objet dans un tiroir. En professionnelle impeccable, elle s'excusa même pour ce contretemps, raclant sa gorge afin de reprendre le fil de la discussion initiale.

• Je vous en prie.

Inutile de faire des ronds de jambe. La canadienne n'était pas là pour la juger mais pour se confier sur ses craintes. Sa famille lui manquait atrocement. Elle ne pouvait pas rentrer voir le cirque familial, faute de temps et de moyens financiers. Et elle se voyait mal faire la manche ou emprunter de l'argent dans une banque. Elle était indépendante de toute cette société capitaliste. Ce n'est pas aujourd'hui qu'elle se plierait à leur volonté. Cette pensée atroce s'envola dès l'instant où la psychologue reprit la parole, revenant sur ce besoin d'écrire des lettres manuscrites. Oui ! Excellente chose.

• Oui, j'écris à mes parents chaque semaine.

Son père et sa mère en priorité. En ce qui concerne les autres membres du cirque, elle avait des retours ici et là, comme pour la rassurer en temps utile de leur bien-être respectif. Luana n'oubliera jamais leurs enseignements. Tous ont eu un rôle à jouer dans son éducation. Elle voudrait leur rendre la pareille et prouver qu'elle était digne de suivre leurs pas au quotidien, affublée de sa troupe hybride à laquelle elle croyait beaucoup. Cependant, la belle enfant black n'avait pas répondu à la question posée par son homologue féminin.

• Ils me répondent toujours. J'en ai besoin pour avancer. Vous comprenez ?

Une pensée s'envola vers le Mad Hatter Circus, où elle te revoyait monter et tomber d'une boule bien trop grosse pour elle à cette époque. Ses douces années d'insouciance où la belle afro apprenait des plus grands. Le bon vieux temps en quelque sorte. Ah... Luana se sentait bien, comme bercée par ces tendres moments de joie qui auront fait d'elle le petit génie de Détroit. Mais cette douce euphorie ne dura qu'un instant, car déjà ses prunelles pétillantes s'éteignaient pour revenir aux dures lois de la réalité.

• Je suis prise au piège entre ce que je désire et ce que je dois faire...

Tombée au fond du terrier sans porte de sortie. Contrainte et forcée de suivre la Dame Rouge dans son château empoisonné. Elle avait horreur de cela, de devoir emprunter une voie qui ne menait nulle part si ce n'est à la désolation. La Reine de Cœur prenait une trop grande place dans sa fantaisie. Elle devait l'en chasser coûte que coûte. Mais que pouvait-elle faire pour y parvenir ? Et cette psychologue, aussi gentille soit-elle, avait-elle la solution miracle à ses tourments les plus enfouis ?